Kanza, l'héritage arabo-andalou
Entretien avec Adel Salameh et Naziha Azzouz
CMTRA : Votre dernier CD semble s'inscrire dans une certaine continuité par rapport au précédent album que vous avez réalisé ensemble. Nous retrouvons quasiment la même instrumentation, il s'agit toujours de compositions originales. Quelle est selon vous l'évolution par rapport à ce précédent CD ?
Adel Salameh : Je pense que ces deux albums sont assez différents. Il y a peut-être plus d'émotion dans le dernier. Quant à l'instrumentation et aux choix des musiciens, j'ai fait appel à Barbaros Arkose, un maître turc qui joue de la clarinette aussi bien dans un style soufi que dans un style classique de musique turque. Il s'agit de quelqu'un d'extrêmement ouvert, capable de s'intégrer dans d'autres styles musicaux.
J'ai aussi choisi ce musicien pour le son de sa clarinette à la fois très terre-à-terre et spirituel. Je ne cherche pas la virtuosité mais plutôt l'essence même de la musique car il y a selon moi deux types de musique, l'une qui fait bouger les gens de l'extérieur et l'autre qui fait bouger de l'intérieur. Moi je cherche plutôt à toucher les gens de l'intérieur. Et j'ai fait aussi appel a Abdel-Rhani Krija qui joue de la percussion. Un jeune musicien plein de talents.
Mes compositions sont basées sur la musique arabe mais avec beaucoup d'influences jazz, turques, méditerranéennes' ma musique n'a pas de frontière. J'habite en Europe, et depuis ma venue, j'ai travaillé avec différents musiciens, c'est très enrichissant.
À l'écoute de votre CD, nos sommes tour à tour entre musique soufi, savante, traditionnelle' Où vous situez vous ?
A. S. : Je ne cherche pas à mettre ma musique dans une catégorie car sinon c'est la fin de ma carrière de musicien. Chacun de mes disques est différent, le dernier a plutôt un caractère de soufi mystique car c'est comme cela que je compose en ce moment, mais le prochain disque sera certainement différent. Je suis un compositeur et non un imitateur, ma musique est influencée par la musique arabe et d'autres, j'aime beaucoup écrire, c'est ma nature.
Concernant les textes de vos chansons, comment procédez-vous ? S'agit-il également de compositions ?
Naziha Azzouz : Ce sont des textes des XIIe et XIIIe siècles (période andalouse). Nous avons choisi ces poèmes car ils parlent de l'amour, de la paix, de la tolérance ; ce sont de très beaux textes. La plupart de poètes inconnus.
Vous abordez régulièrement ces thèmes, est-ce lié à votre situation d'exil ?
A. S. : Pour moi, il s'agit d'un devoir, d'une obligation de faire ça. Car dans la vie aujourd'hui, nous avons besoin d'accepter l'autre et de le tolérer, besoin de chercher à vivre ensemble sans critiquer l'autre. Je suis musulman, mais cela ne veut pas dire que je suis un intégriste.
Aujourd'hui nous vivons dans un monde très dangereux car il n'y a pas assez de tolérance. Notre message est un message de paix. Je ne suis pas un politicien, je suis musicien, et la musique me permet de faire passer ce message.
Cet album s'intitule Kanza. Ce titre a-t-il une signification particulière ?
A. S. : "Kanza" en arabe veut dire trésor. J'ai utilisé ce nom parce que j'ai choisi des textes qui représentent notre héritage arabo-andalou, et pour moi c'est un trésor.
Vous êtes installés à Lyon depuis deux ans. Vous jouez très peu dans la région et en France, et paradoxalement vous faites des tournées internationales en Europe et ailleurs. Comment expliquez vous ce phénomène ?
A. S. : Cela ne fait effectivement que deux ans que nous sommes ici et je pense que cette situation est normale. Avant de venir ici en France, j'ai travaillé pendant dix ans en Angleterre, et c'est le temps qu'il m'a fallu pour être connu là-bas. Donc nous avons besoin de travailler encore et encore pour être connu en France et ici à Lyon.
N. A. : Il faut laisser le temps aux gens de nous connaître, d'apprécier notre musique. Il faut croire à ce qu'on le fait, le reste viendra naturellement.
Vous êtes amenés à jouer devant des publics très différents. Lorsque vous jouez devant la communauté arabe, comment le public réagit à vos compositions ? Vous arrive-t-il de sentir des différences de perception du public selon l'endroit où vous jouez et selon le public ?
N. A. : La réponse du public maghrébin en France est très positive car c'est un public qui connaît surtout le raï et finalement très peu la musique savante. Dernièrement nous avons donné un concert où il y avait beaucoup de jeunes et ça a été pour eux la découverte. Ils nous ont demandé d'où nous venions, ils ont beaucoup aimé.
Pour eux, c'est une nouvelle musique qu'ils découvrent et qu'ils aiment. Ils viennent nous le dire.
A. S. : Je pense que les Arabes en France ont une certaine nostalgie de la musique et de la culture arabe. Le public arabe écoute notre musique avec un grand plaisir et une grande inspiration. Cette inspiration manque car les gens connaissent très peu la musique classique et beaucoup plus le raï.
Le samedi 9 novembre dernier, vous avez joué à Paris au festival « Planètes Musiques » organisé par la Fédération des Associations de Musiques et Danses Traditionnelles et la salle de la Maroquinerie. Ce festival se veut être la vitrine de ce qui se passe en région au niveau des musiques traditionnelles, comment avez-vous ressenti ce concert dans un tel contexte ?
N. A. : Nous sommes très contents d'avoir pu jouer dans ce festival et cela s'est très bien passé. Notre concert a eu beaucoup de succès. Nous avons joué avec Naguila, un groupe de Montpellier qui travaille autour de la culture judéo-arabo-andalouse. La salle était pleine. L'organisation était très réussie, les gens étaient très sympathiques. Le public était très mélangé, il y avait beaucoup de Français, de Pieds Noirs d'Algérie et beaucoup d'Arabes, et ça c'est assez rare.
A. S. : Je pense que ce concert à la Maroquinerie était une chance extraordinaire pour introduire notre musique sur la scène à Paris. Lorsque nous sommes arrivés là-bas, la salle était pleine et pas suffisamment grande pour accueillir tout le monde. Nous étions donc agréablement surpris de la réaction du public ; les gens nous ont beaucoup parlé à la fin du concert. Il y a eu véritablement une interaction entre le public et nous. Nous avons eu de nombreuses propositions pour jouer à Paris et dans d'autres festivals. Dans la semaine qui a suivi ce concert, nous avons reçu encore d'autres propositions par e-mail. Ce festival est donc extrêmement positif pour les artistes résidant en région.
En dehors de vos tournées internationales, quelle est votre actualité en région ?
N. A. : Nous avons deux dates prévues au Radiant à Caluire les 30 et 31 Janvier 2003.
Propos recueillis par M.P.
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Kanza est distribué par Enja
Ref : ENJA CD 9137-2
www.jazzrecords.com/enja