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Les Centres de Musiques Traditionnelles en question, autre point de vu

En France, les musiques traditionnelles sont soutenues par l'État depuis le début des années 1980 et depuis plus longtemps par les collectivités locales. Il semble que trente années ne soient pas suffisantes pour que toutes les dimensions de ces musiques, si mal désignées par l'adjectif cruellement ambigu de « traditionnelles », puissent être appréhendées et pleinement reconnues. Mais quelles sont donc ces valeurs, qui dépassent largement l'idée commune de musique et de tradition, offertes par ces répertoires, ces techniques instrumentales et vocales, et surtout par les personnes qui les détiennent ?

Au même titre que les langues, majoritaires ou minoritaires, parlées dans nos sociétés, elles font partie intégrante des identités multiples et collectives, et sont au cœur de l'intimité de chaque personne. Nos écrivains, nos cinéastes, nos ethnologues, nos historiens, nos sociologues, nos psychologues décrivent inlassablement la part fondatrice de la culture maternelle dans la construction de l'individu. Ils expliquent, et chacun de nous le sent, combien sont profondément empreints en chaque personne les premiers mots, les premières sensations, les premiers émois, les premières mélodies, les premiers moments festifs. Ils disent combien les éléments premiers perçus façonnent et accompagnent chaque individu toute son existence, dans ses épreuves et dans la construction de son futur. Ils montrent qu'il n'y a pas d'avenir sans mémoire ni de modernité sans connaissance du passé.

Nos musiques traditionnelles, dans la palette des héritages personnels sensibles, sont des témoignages audibles, chaleureux et partageables, intimement chevillés à nos cultures maternelles. Elles interviennent dans les moments de convocation de la filiation personnelle et sont alors des véhicules de partage des émotions. Elles sont irréductibles à l'idée de culture nationale, d'obligation d'esthétique officielle ou de production de l'industrie culturelle. Enfin, dans une relation à l'autre, elles permettent l'échange, l'hospitalité musicale, le don, la reconnaissance mutuelle des identités présentes dans nos territoires de vie. La France, bouquet d'identités. Dans notre pays, deux siècles de volonté centralisée de construction d'une identité nationale n'ont pas réduit, malgré le projet de nos révolutionnaires de 1789, le sentiment d'appartenance aux cultures minoritaires régionales. Cette longue période a, dans la plupart des cas, produit pour les citoyens de longue généalogie nationale une double culture, globale et locale. À cette situation multiculturelle première se sont superposées dans ce pays dès le XIXe siècle les conséquences de la colonisation et des drames économiques et historiques qui ont déplacé en tous sens de nombreuses populations. Le résultat en est le partage d'un territoire par des personnes aux identités multiples. Cette société multiculturelle est dépositaire d'héritages musicaux incroyablement riches et diversifiés. Ces mémoires musicales sont un bien précieux, extrêmement chaleureux pour la reconnaissance mutuelle et l'échange entre les personnes de cultures différentes dont le destin est bien de vivre ensemble. L'expérience de la collecte et de l'échange. Dans les années 1960 se construit un processus d'action qui s'appuie sur la pratique associative bénévole et met en œuvre la collecte et la transmission des répertoires musicaux et chorégraphiques tirés des traditions régionales. Ce mouvement va se structurer dans les années 1970 notamment dans le Centre France en une fédération nationale, la Fédération des Musiciens Routiniers. Les objectifs en sont la volonté de collecter dans le monde rural, mais aussi auprès des musiciens de l'immigration - bien souvent de culture rurale eux aussi - les témoignages musicaux, de conserver ces documents sonores, et de les transmettre au public le plus large par l'édition, l'enseignement et la création musicale.

La restitution par la création musicale appuyée sur la collecte fonde une démarche originale qui trouvera au début des années 1980, dans les échanges entre le Ministère de la Culture et la Fédération des Musiciens Routiniers, un cadre dans la mise en place du réseau des Centres Régionaux de Musiques et Danses Traditionnelles (CRMDT), regroupés en Fédération des Associations de Musiques et Danses Traditionnelles. Dans ce réseau se concrétise rapidement un savoir-faire professionnel dans la mise en œuvre de la chaîne collecte - conservation - valorisation. Une somme sans cesse augmentée de témoignages musicaux, de récits de vie qui les éclairent sur les contextes, est compilée en une impressionnante bibliothèque sonore.

Des centaines d'initiatives associatives et de plus rares décisions institutionnelles voient le jour en faveur de l'enseignement de ces répertoires. Et de nombreux projets musicaux naissent qui ont pour objectif la rencontre et le mélange entre cultures musicales. Ils participent de manière généreuse à la construction d'identités musicales nouvelles héritières des éléments culturels en présence. En Rhône-Alpes En Région Rhône-Alpes, le CMTRA œuvre en ce sens depuis 1990. Dix-huit chantiers de recherche ont été conduits en territoires ruraux autant qu'urbains. Dès 1995, des recherches ethnographiques approfondies, soutenues par les dispositifs de la Politique de la ville, sont menées auprès des musiciens rônalpins issus du Maghreb, d'Andalousie, d'Orient, d'Asie, puis de toutes origines, pour peu qu'ils exercent leurs talents sur des territoires au caractère multiculturel marqué. Les quartiers lyonnais urbains des Pentes de la Croix-Rousse et de La Guillotière font l'objet de telles recherches dont l'aboutissement est la publication de documents sonores et audio-visuels, ainsi que l'organisation d'un grand nombre de manifestations publiques. À Lyon, les concerts des Jeudis des Musiques du Monde, qui présentent au public les ensembles musicaux rencontrés au cours des chantiers de recherches, rassemblent plus de 100 000 spectateurs en neuf années d'existence. Ces événements se déroulent également dans des lieux de sociabilité, de proximité ainsi que dans des temples de la diffusion culturelle institutionnelle à l'image de l'Amphithéâtre de l'Opéra de Lyon et autres salles prestigieuses.

Les musiciens rencontrés patiemment au cours des recherches sont soutenus par le CMTRA, et se produisent dans des circonstances et des lieux différents de leurs circuits habituels. Leurs musiques sont valorisées dans leur dimension de diversité, et rendues visibles aux publics de cultures différentes qui les découvrent en tant que voisins aux talents ignorés. Sont prises en compte les expressions musicales des amateurs, des personnes qui s'expriment dans un cadre communautaire, et le résultat des recherches contribue à l'écriture de l'histoire des immigrations dans notre pays, laquelle est en passe d'être valorisée par un musée national. Le dialogue interculturel est toujours favorisé, et de nombreux jeunes musiciens de culture européenne sont avides des conseils de ces témoins précieux. Toutes ces actions, menées depuis dix ans en Rhône-Alpes, anticipent largement les directives récentes de valorisation des minorités prisent dans l'urgence des événements violents que l'on sait. Sera-t-il possible de poursuivre le travail engagé de longue date ?

Toutes ces opérations, pour partie invisibles, nécessitent des moyens, et le CMTRA, comme les autres CRMDT, bénéficie de soutiens financiers du Ministère de la culture, par l'intermédiaire des DRAC et des collectivités locales, villes, conseils généraux et régionaux, soutiens maintenus jusqu'à nos jours au gré des alternances politiques. La période que nous vivons est paradoxale : les Centres de Musiques Traditionnelles sont reconnus comme des structures expertes, pôles associés de la Bibliothèque nationale de France pour quatre d'entre eux. La FAMDT, qui les fédère au niveau national, est confortée dans ses missions « de coordination des Centres de musiques et danses traditionnelles en région issus de la politique conduite par l'Etat en faveur du développement des musiques et danses traditionnelles, communautaires et du monde » par une convention pluriannuelle avec le Ministère de la culture pour les années 2005, 2006, et 2007. C'est le moment où les financeurs des CRMDT en général et du CMTRA en particulier exigent que les moyens budgétaires alloués soient « rationalisés, mutualisés », et que les CRMDT autonomes intègrent des Associations Régionales elles-mêmes en devenir. Dans le même temps, au niveau national, un fort pourcentage des moyens qui avaient été retirés aux associations agissant dans le cadre de la Politique de la Ville sur les populations multiculturelles en difficultés sont en passe d'être rétabli dans l'urgence. Mais, au fond, pourquoi préserver et valoriser les musiques traditionnelles?

Précisément, ces biens culturels appartiennent au patrimoine immatériel de l'humanité. Depuis l'année 2002, l'UNESCO a adopté une convention internationale qui engage les états à inventorier, promouvoir et sauvegarder les expressions de la créativité humaine de la planète. Cette décision repose sur le constat selon lequel la notion de patrimoine immatériel s'inscrit dans le vaste champ du patrimoine culturel mondial, mais demeure occultée par une conception essentiellement monumentale et tangible de la culture. Or, les sociétés humaines expriment également leur identité au travers de la langue, la musique et le spectacle, les rites sociaux ou religieux, les traditions orales et le savoir-faire, pratiques abstraites ou fugaces menacées par la mondialisation.

L'UNESCO appelle donc les acteurs politiques nationaux à éviter la déperdition de ces témoignages de la diversité culturelle et à engager leurs états dans une entreprise de sauvegarde de ce patrimoine dit immatériel, travail effectué en France par le réseau des CRMDT depuis vingt-cinq ans. Le Président de la République française a demandé très récemment au gouvernement d'engager sans tarder la ratification de cette convention. Quels outils et quels moyens ?

Dans ce contexte, le réseau des CRMDT, et particulièrement le CMTRA, qui œuvrent à ces missions sur le territoire national en tant qu'experts depuis longtemps seront-ils menacés de diminutions de leurs moyens déjà minces au regard de l'immensité de la tâche à accomplir ? Il serait paradoxal que le Ministère français de la culture, qui a anticipé de plus de vingt années la décision de l'UNESCO, revienne en arrière en diminuant les moyens mis à disposition des CRMDT au moment où leur action prend toute sa dimension. Et dans l'hypothèse ou l'État se désengagerait de cette politique, il serait étonnant que les collectivités régionales, dans les convictions qui sont les leurs, ne prennent pas le relais de l'État. Christian Massault, président du CMTRA, Jean Blanchard, directeur artistique.


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