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Itinéraires de collectage en domaine francoprovencal
Anne-Marie Vurpas vient de publier "Les Chansons en patois de Caluire" par Jean Cotton (1800-1866), J.P. Huguet Editeur

Rencontre CMTRA : Dans quel contexte avez-vous réalisé vos premiers collectages, comment votre pratique a-t-elle évolué ?

Anne-Marie Vurpas : Au commencement, j'ai participé à l'élaboration d'un atlas linguistique, j'étais chargée du Beaujolais. On interrogeait les gens. Et éventuellement les enquêtes linguistiques sur le patois donnaient lieu à des enquêtes ethnographiques parce qu'on regardait les objets, la vie des gens, les traditions, le travail.

A ce moment-là, on n'enregistrait pas, on a fait ça sur des carnets, avec des crayons, à bicyclette C'était à la fin de la guerre, vers 1950, on n'avait pas d'argent ni de voiture. Je faisais partie d'une équipe qui travaillait ici, à l'Institut de linguistique romane qui est devenu l'Institut Pierre Gardette, du nom de son fondateur, directeur scientifique de cet Institut, qui avait lancé le premier Atlas linguistique et ethnographique de France dans le Lyonnais. Le CNRS a étendu ensuite cette étude au territoire national. Vous apercevez ici, au centre de documentation de l'Institut, tous ces volumes qui sont les atlas par Région, alors qu'il n'existait autrefois qu'un atlas linguistique pour toute la France, réalisé par correspondance.

C'est de là qu'ont démarré les enquêtes, en allant dans les villages et en essayant de collecter le patois, les souvenirs des gens, liés aux technologies anciennes, à la vie paysanne. En même temps il est arrivé qu'on collectionne des dictons, des proverbes, des chansons, des contes, un peu de littérature orale. Par la suite, j'ai abandonné pendant un temps les recherches pour me marier et avoir des enfants. Et quand je m'y suis remise, je me suis spécialisée en littérature dialectale. J'ai donc fouillé la Bibliothèque Municipale où j'ai trouvé pas mal de textes, des chansons notamment, des pièces de qualité. Une littérature d'occasion, d'actualité et de nombreux noëls du XVIIIe siècle, des chansons politiques, fréquentes au XVIIIe siècle, des chansons de Canuts qui se plaignent de la misère des temps, de la nourriture, de leurs conditions de vie épouvantables.

C'est une littérature intéressante parce qu'elle n'est pas officielle, le patois permettant de dire des choses que peut-être on n'aurait pas dites en français. Le parler canut a hérité de beaucoup de mots de ce patois parlé autrefois à la Croix-Rousse, et à Lyon même. Dans les campagnes, il s'est conservé plus longtemps. Le manuscrit de Jean Cotton, de Caluire (commune voisine de Lyon) par exemple comporte des chansons en patois du XIXe siècle. Le personnage qui parle le patois est, comme sa langue, lui aussi méprisé.

C'est un paysan un peu balourd souvent représenté par un charlatan, quelqu'un d'un peu grossier, qui est là pour faire rire. A Rive-de-Gier j'ai trouvé aussi un ouvrier qui a écrit toute une littérature, une uvre assez importante de 6000 alexandrins en patois complètement oubliée, même par les gens de Rive-de-Gier qui en ignoraient l'existence. Une pièce très intéressante raconte que l'auteur, Roquille, est venu à Lyon en 1830 et a assisté probablement aux révoltes des Canuts. Il raconte les événements à l'Eglise Sainte Bonaventure, à la Croix-Rousse, mais toujours en patois et sur le ton burlesque, c'est très intéressant mais pas reconnu. J'ai publié cela avec une traduction et un glossaire, mais même à la Croix-Rousse peu de gens s'y intéressent. En Savoie aussi il y a des choses très passionnantes. J'ai fait une publication qui commence juste à susciter un intérêt, autour d'une moquerie savoyarde, c'est la fable du meunier, son fils et l'âne, écrite par un savoyard, 50 ans avant LaFontaine

Alors vous voyez, c'est comme ça que j'ai commencé. Et dans les Monts du Lyonnais, j'ai récemment trouvé une informatrice qui avait 90 ans et qui m'a dit : "Si vous voulez, je sais des histoires et des chansons". Elle m'a donné une version extrêmement intéressante du conte de Jean de l'Ours accommodé à la sauce lyonnaise et m'a chanté des chansons en patois et une chanson de bêtises ou «coq à l'âne», où l'on ne raconte que des choses inventées pendant une vingtaine de strophes. J'ai relevé la même chose dans les Monts du Beaujolais et à la Bibliothèque Municipale dans un recueil de 1594 en patois, retranscrite par "Breudin le Cocu". Ce Breudin le Cocu, de son nom facétieux, était un notaire. Quand il recevait ses paysans, il leur demandait de chanter une chanson en patois ! C'est très passionnant quand on arrive à retrouver ces vestiges mais c'est très difficile. CMTRA : Comment mener des recherches sur les expressions traditionnelles en milieu urbain? Vous semblez dire que les sources sont plutôt conservées dans les archives écrites que dans les expressions et les mémoires orales contemporaines ?

A-M.V. : J'ai fait des enquêtes pour recueillir les mots du parler lyonnais et voir si ces mots étaient encore vivants. J'avais trouvé un ouvrier canut de la Croix-Rousse qui s'appelait le Grand Pierre, j'avais été le voir pour recueillir les mots de la soierie. Lui-même avait fait des cassettes sur le métier, sur la vie des Canuts. Mais je ne peux pas dire qu'on ait fait des enquêtes d'ethnologie à Lyon. D'ailleurs c'est très difficile. CMTRA : Comment avez-vous retrouvé par exemple la piste des chansons de Jean Cotton en patois de Caluire ?

A-M.V. : Ces chansons étaient sur un manuscrit qui est en la possession de M. Basse, un Caluirard auteur d'une publication historique sur sa ville qui se sentait incapable de les traduire. Ce Cotton écrivait lui-même ses manuscrits. Il n'y a plus de descendant direct mais une dame a dit qu'elle avait entendu sa grand-mère chanter ses chansons, ça remonte à 1830. Il y a encore une impasse à son nom et sa tombe, c'était quand même un personnage du pays, à une époque où Caluire était un village. Il y a des chansons à boire, bien sûr.

Mais il y a aussi beaucoup de chansons à la gloire de Caluire. Et puis il y a des chansons où il se déguise, en charlatan par exemple, c'est amusant, pour vendre ses médicaments, avec tout le boniment d'un bateleur. D'autres chansons racontent la vie à Caluire. Il y en a une qui est très amusante où il se fait passer pour un gadouard, comme on disait en patois, celui qui ramassait la gandouse, le fumier des fosses d'aisance qu'on mettait dans les champs comme engrais. Il chante une chanson pour la fierté des gadouards qui pendant la nuit allaient répandre leur tonneau et en se promenant voyaient ce qui se passe dans les maisons

Des chansons montrent des batailles entre les gamins des faubourgs ouvriers et ceux de Caluire. J. Cotton était cordonnier. Pour être chantre, il devait sans doute avoir une belle voix et s'amuser à chanter dans les réunions publiques, dans les cérémonies. C'était une tradition au XIXe siècle dans les villages, le chantre composait parfois ou chantait des chansons traditionnelles. On en a trouvé plusieurs, à Saint Etienne Jacques Vacher par exemple a écrit au moins 40 chansons en patois et des centaines en français Il avait tout un répertoire. Là aussi c'est quelqu'un d'extraordinaire, il était ébéniste ou menuisier mais en même temps un peu poète, écrivain. Nous avons publié son uvre dans l'ouvrage intitulé "Le Carnaval des Gueux" parce qu'en 1860, sa production était aussi liée à une revendication ouvrière. Il est un peu comme Roquille le porte-parole du peuple par le patois.

Mais dans Jacques Vacher il y a pas mal de chansons traditionnelles de Saint Etienne. CMTRA : Aujourd'hui quels sont les terrains qu'il vous semble intéressant d'explorer ?

A-M.V. : Il existe peut-être encore des terrains à explorer. Ainsi, un jour par hasard je suis tombée sur un rapport de séance de l'Académie de Lyon, rédigé en 1882. C'était une remise de prix, on avait demandé aux gens d'écrire des chansons et on avait primé quelqu'un qui avait remis un cahier de 400 chansons lyonnaises avec la musique. Il n'y avait pas le nom de l'auteur ; après une recherche assez fouillée, j'ai fini par trouver que c'était un musicien qui avait composé cela, mais qu'il avait été lui-même enquêter dans les campagnes lyonnaises. Il était organiste aux Chartreux à Lyon et s'appelait Rolandez, il est mort vers 1914. Aux Chartreux, on se rappelait bien de lui parce que ce devait être un original.

Ce serait très intéressant de retrouver ce recueil inédit. Il serait composé, d'après le rapport de l'Académie, de quatre gros cahiers reliés, qui sont peut-être chez les descendants de cette famille. Les gens sous-estiment souvent les trésors qu'ils conservent chez eux. Je n'en ai retrouvé la trace dans aucune bibliothèque.

Actuellement nous sommes en train de travailler sur 6000 régionalismes de la langue lyonnaise, et on essaie avec Gérard Truchet et ses cours de lyonnais d'inciter les gens à les employer chez eux en famille, avec leurs enfants, parce que c'est un patrimoine très ancien, qui remonte à la romanisation, quand le latin a cédé le pas au français, aux dialectes.

L'Institut Pierre Gardette reste spécialisé dans le domaine du francoprovençal qui comprend le Rhône, la Loire, l'Ain, l'Isère, les deux Savoies, jusqu'en Suisse romande et un peu dans le Piémont avec Aoste. Tout ce domaine parle une même langue, un dialecte intermédiaire entre les langues d'oïl du Nord, et les langues d'oc du Sud, qui est le résultat d'une romanisation particulière pour laquelle Lyon a joué un rôle capital.

Finalement le domaine francoprovençal correspond à peu près à Rhône-Alpes, sauf pour les départements de l'Ardèche et de la Drôme qui ne sont francoprovençaux que dans leur extrémité nord. Souvent on se demande quel est le sentiment, l'identité de Rhône-Alpes. Cela pourrait être cette langue parce que finalement, il n'y a aucune unité historique, ni géographique. Alors, on essaie de faire connaître cette particularité à nos responsables et d'intéresser un peu les gens à ce passé qui n'est finalement pas si lointain. Propos recueillis par V.P. Bibliographie S. Escoffier, A.-M. Vurpas, Textes littéraires en dialectes lyonnais ­ Poèmes, théâtre, noëls et chansons (XVIème-XIXème siècle), Paris, Lyon, CNRS, 1981. J.-B. Martin, A.-M. Vurpas, Le Beaujolais : contes, légendes, récits, chansons, Saint-Etienne, le Hénaf, 1982. A.-M. Vurpas, Autrefois dans les monts du Beaujolais ­ Vie et langue d'une communauté rurale : Saint-Just-d'Avray (Rhône), Saint-Etienne, Action graphique, 1988. A.-M. Vurpas, Moqueries savoyardes, monologues polémiques et comiques en dialecte savoyard de la fin du XVIème siècle, Lyon, La Manufacture, 1986. A.-M. Vurpas, Le français parlé à Lyon vers 1750, Paris, Klincksieck, 1991 A.-M. Vurpas, Cl. Michel, Dictionnaire du français régional du Beaujolais, Paris, Bonneton, 1992. A.-M. Vurpas, J.-B. Martin, Le Parler lyonnais, Paris, Rivages, 1993. A.-M. Vurpas, Le Carnaval des Gueux, uvres complètes de Guillaume Roquille, en patois de Rive-de-Gier, Lyon, P.U.L., 1996. A.-M. Vurpas, Noms de lieux de la Loire et du Rhône, Paris, Bonneton, 1993. J. Lorcin, J.-B. Martin, A.-M. Vurpas, Le rêve républicain d'un poète ouvrier, Chansons et poésies en dialecte stéphanois, Saint-Julien-Molin-Molette, Jean-Pierre Huguet,1999. Cl. Michel, A.-M. Vurpas, Noms de lieux de l'Ain, Paris, Bonneton, 1999 J.-B. Martin, A.-M. Vurpas, "Langue : les patois, la toponymie", in Loire en Rhône-Alpes, collection Encyclopédies Bonneton, Paris, Bonneton, 1999 Contact

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