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Les Belles Nuits du Ramadan
Théâtre de Vénisseux (69)

Rencontre avec Taoufik Bestandji Le Malouf, musique arabo-andalouse CMTRA : Vous êtes d'origine algérienne, et vous êtes un maître dans la tradition pure du Malouf, musique arabo-andalouse de l'école de Constantine. En revenant un peu aux sources, pouvez-vous nous parler de votre apprentissage musical et de ce qui fait la particularité du Malouf dans la musique arabo-andalouse ?

Taoufik Bestandji : Pour la question des origines, j'ai une petite anecdote : c'est une question que l'on m'a posée il n'y a pas très longtemps à la télévision française sur un film qui va sortir au mois de janvier, on m'a demandé : "est-ce que vous êtes algérien ou français ?" parce que je suis binational, alors j'ai répondu, je ne suis ni français, ni algérien, je suis constantinois !

Cette ville est très particulière, c'est une "névrose" très spéciale. J'ai découvert cette "névrose" en arrivant en France il y a dix ans, quand j'ai rencontré la communauté juive qui avait dû quitter Constantine après l'indépendance. C'est un caractère très particulier qui à mon avis est aussi lié à la topographie de cette ville. Posée sur les hauteurs, elle est serrée, sans aucune possibilité d'extension. La composition de ses habitants, c'est d'abord le vieux socle berbère, parce qu'on n'est pas loin de la région des Chaouias, c'est à dire des Berbères de l'Est algérien.

Beaucoup plus en arrière, il y a l'histoire avec la communauté juive et les Ottomans. Je suis d'origine ottomane, mes aïeux sont arrivés à Constantine au XVIIe siècle en quittant l'Anatolie. C'est après que cette population-là se soit frottée aux autochtones de Constantine que l'on voit apparaître les coulouglis, c'est à dire les citadins du XVIIe, XVIIIe, XIXe et XXe siècles. Je descends d'une famille de musiciens du XVIIe siècle.

Mais, c'est surtout au XIXe et au XXe siècle que ma famille a été dominante dans ce milieu-là. Mon grand-père était une notoriété d'abord au sein de la communauté juive. C'est d'ailleurs surtout sur ce terrain musical que les communautés juive et musulmane se retrouvaient. Puis, mon grand-père, mes parents... Mais le mode de vie à l'époque était une vie d'errance, une vie de troubadour, alors on défendait aux enfants de faire de la musique. La deuxième génération, celle qui vient après les grands maîtres, est une génération à qui on interdit de faire de la musique, et c'est la génération suivante qui revient vers quelque chose qui a été un peu effacé, et ainsi de suite. J'ai d'abord fait mes classes chez mes parents parce que l'on "naît" musicien et on ne le devient pas dans cette tradition. Plus tard, mon père avait peur parce que je devais fréquenter les cénacles de la musique qui étaient aussi associés au vin et à la fréquentation des femmes... un milieu noir, un peu spécial aussi à Constantine, avec les fundouk qui étaient à l'époque des endroits dangereux pour les enfants. Mais pour apprendre la musique, il faut aller dans ces lieux-là. Alors le "deal" avec mon père a été de dire : "tu travailles bien à l'école et tu continueras à faire de la musique". Parce que la plupart des musiciens arrêtent les études à un âge assez précoce.

Pour ma part, j'ai pu aller jusqu'à l'université, par contre la musique ne m'a jamais quittée. J'en ai vécu aussi, mais on vit misérablement de la musique là-bas, car c'est un statut social inférieur. J'ai créé des associations là-bas, j'ai aussi fait mes premières télés, le test sérieux dans le milieu professionnel musical de ces pays-là, parce que la télévision ouvre des perspectives dans le milieu professionnel. J'ai créé plusieurs écoles de musique parce qu'à l'époque je pensais que c'était cela qui était en jeu. J'étais d'ailleurs un des tous premiers à enseigner dans des conditions parfois misérables, mais aussi dans un autre contexte, c'est à dire dans des MJC, au conservatoire, etc.

Ce qui m'intéressais, c'était de rompre la relation maître/élève. D'autre part, c'était la révolution du magnétophone, et du coup, au lieu de suivre tout le temps un maître, on pouvait d'une manière ou d'une autre l'enregistrer et essayer de travailler sur des documents sonores. Après tout ce périple-là, j'ai dû quitter l'Algérie en 1989-90 parce que j'avais obtenu un poste en tant que professeur au Conservatoire National de Région de Marseille. Pierre Barbizet, un éminent pianiste, était venu à Constantine et était tombé fou amoureux de cette musique. C'est à ce moment-là qu'il m'a dit : "Il faut absolument que vous veniez enseigner cette musique à Marseille".

Il y avait, je ne dirais pas le contraire, une arrière pensée politique ! Cela m'a plu, même si l'exil était difficile à vivre car j'étais attaché à Constantine, à la musique... Mais cela allait déjà mal en Algérie. Après, j'ai beaucoup travaillé pour la Maison de Radio France, notamment pour une collection qui s'appelle OCORA, qui réalise des disques de musiques traditionnelles. Ils étaient à l'époque les pionniers dans ce domaine-là. J'ai pu y rencontrer des personnes, le gratin en somme du milieu professionnel.

Par la suite, j'ai repris l'enseignement parce que je considère que c'est une activité importante et complémentaire aux concerts, aux disques, enfin à la pratique musicale. Dans les grands chantiers de ces dix dernières années, l'idée a surtout été de ressouder, si je puis dire, deux communautés : la communauté juive qui est partie en 1962 et tous ces Maghrébins qui ont quitté l'Algérie depuis maintenant dix ans aussi.

Et, c'est un bonheur de voir se reconstituer aujourd'hui en France un petit peu (mais avec le temps!) le climat culturel de Constantine d'il y a 35 à 40 ans. CMTRA : Quelles sont vos méthodes d'enseignement, par tradition orale ou tradition écrite ?

T.B. : C'est d'une grande complexité, j'ai d'ailleurs écrit un livre sur ce sujet. Le problème majeur quand on arrive en France, c'est qu'il y a déjà une tradition de l'enseignement musical bien ancrée dans les conservatoires. Ce n'est pas du tout la méthode là-bas car il faut savoir qu'une société de l'oralité, c'est picorer un peu à droite et à gauche pour ensuite se tracer une ligne. J'ai donc proposé deux méthodes aux institutions : d'une part, on écrit plusieurs niveaux qui font qu'on arrive à une liberté d'improvisation comme dans le jazz, ainsi la personne qui lit la musique peut retrouver une oralité à partir de ce qui est écrit. D'autre part, j'enseigne exactement comme j'enseignais à Constantine aux personnes qui ont des prédispositions pour l'oralité. Mais surtout, il faut des documents sonores car c'est en écoutant, en réécoutant, encore et encore, qu'à un moment donné la musique ne vous quitte plus.

Quand vous vous couchez le soir, il faut que cette "petite musique" vous trotte dans la tête ! Il faut que la musique soit complètement intériorisée. Même les grands musiciens qui lisent la musique, arrivent à un niveau où c'est l'oralité qui prime, ils n'ont alors plus de partitions. Et c'est à ce moment-là que l'émotion peut naître. CMTRA : Alors, ceci est un premier niveau, l'autre est de savoir que les cultures d'oralité connaissent, de génération en génération, une évolution et souvent des acculturations, est-ce pour vous un inconvénient ?

T.B. : Cela fait partie des règles du jeu, et puis la musique a tout le temps été évolutive. Pourquoi veut-on aujourd'hui la fixer et signer son arrêt de mort ! C'est une musique qui a toujours collé à ce phénomène de l'oralité qui d'ailleurs n'existe pas qu'en musique, mais aussi dans la littérature, dans le conte... En Tunisie par exemple, pour des raisons politiques et idéologiques ils ont noté les noubas et à ce moment-là, ils les ont assassinées. Pourtant, ce qui fait le moteur et la dynamique de la musique, c'est qu'elle soit changeante.

Bien sûr à un moment donné dans l'histoire, des pans entiers de la musique disparaissent, mais pour la renouveler on est alors obligé d'aller puiser ailleurs, dans l'imagination et dans le voyage. Il y a tout le temps eu une histoire d'import-export de la musique qui fait qu'elle est évolutive, et c'est cela sa vie. C'est d'autre part une très bonne chose que les Marocains aient décidé de fixer la totalité du répertoire dans l'état actuel parce qu'ils l'ont fixé sur des enregistrements sonores et non pas par écrit, en solfège. Cela permet de pouvoir revenir à une pièce.

Mais cela pose un autre problème, celui de la version puisque l'oeuvre change d'un interprète à un autre, d'un milieu à un autre, d'une aire culturelle à une autre. CMTRA : L'histoire a voulu que la musique arabo-andalouse soit, comme d'autres formes musicales et artistiques, momifiée par la pensée unique du pouvoir, mais le Malouf a-t-il eu un rôle symbolique ?

T.B. : Il y a ces écoles musicales au Maroc et en Tunisie, de terme générique "musique arabo-andalouse" qui représentent des différences esthétiques, je dirais même, techniques. C'est assez complexe, et depuis l'existence de ces musiques je n'ai pas trouvé une seule personne (pourtant il y en a eu des figures emblématiques) qui ait pu synthétiser toutes les écoles musicales.

La force de ces écoles, c'est que non seulement il y a le vieux socle des textes d'inspiration arabo-andalouse, mais il y a aussi la musique autochtone, ce que l'on appelle aussi les musiques périphériques ou semi-citadines qui donnent une couleur locale, avec un instrumentarium local. Et, c'est ce mélange de la musique populaire, même parfois bédouine et de la musique classique qui donne cette couleur locale qui ne peut pas aller ailleurs. On a du mal à l'exporter, sauf en France ! René Galissot, historien et professeur à Paris 8, qui a bien connu le Maghreb disait : "Il n'y a pas de Maghreb dans les pays du Maghreb, il y a l'Algérie, la Tunisie, le Maroc et la Mauritanie... (la Mauritanie qui a été rajoutée pour des problèmes géopolitiques)... le Maghreb, il est en France". Lorsque vous allez dans une banlieue, le Marocain, le Tunisien, l'Algérien et le Mauritanien sont ensemble, et c'est cela la culture maghrébine. Je le vis tous les jours puisque dans mon orchestre il y a un Algérois d'Alger, un Bédouin, trois Constantinois et un juif de souche qui jouent cette musique, chacun avec sa propre histoire, c'est une richesse extraordinaire.

Aujourd'hui, il y a la musique tunisienne, algérienne, marocaine parce que la politique culturelle de chaque pays a transformé les répertoires et a manipulé les maîtres de musiques. Alors pour cette école de Malouf, il faut savoir que maintenant les écoles de Malouf en Tunisie, en Algérie sont différenciées par cette histoire récente. Mais, en Algérie, comme il n'y a pas eu d'intervention de politique culturelle directement, il y a eu plutôt une marginalisation par rapport à la Tunisie, comme un repli sur soi, et du coup les gens ont gardé les vieux schémas traditionnels, ce qui a d'une manière un peu sauvegardé la musique.

Il y a eu des tendances de modernisation c'est normal, mais pas autant que la Tunisie aujourd'hui. On ne retrouve pas en Tunisie de joueur de flûte, la jaouak comme on l'appelle, parce qu'elle est typique à Constantine. On ne retrouve pas de violoniste qui cale encore son instrument entre les genoux, plutôt que de jouer à l'occidentale. Personne ne lit la musique chez les musiciens traditionnels constantinois. Alors qu'en Tunisie, si on ne connaît pas le solfège, on est cuit ! cela veut dire que l'on apprend le solfège avant d'apprendre les oeuvres, on peut certes ensuite les rejouer, mais ce n'est pas la tradition orale. CMTRA : Parlons maintenant de ce CD réalisé avec Enrico Macias, en hommage à "Cheikh Raymond" ?

T.B. : Avant de rencontrer Enrico Macias, on a tous été baignés tout petits dans sa musique. Enrico, c'est aussi quelqu'un qui a subi la censure en Algérie parce que sa musique était proche du Malouf. En arrivant en France, je me suis intéressé à Raymond Leyris, ce musicien juif et beau-père d'Enrico Macias, assassiné en 1961. J'ai donc lié amitié avec la famille et avec Enrico Macias. Raymond Leyris a été son premier maître. Il existe d'ailleurs encore des enregistrements de 54-55 où ils jouent ensemble. Mais en France, Enrico a pris un autre chemin, parce qu'il fallait vivre et qu'il y avait une demande plutôt de s'élargir à la communauté pieds noirs. Un soir, après un de mes concerts, il me dit : "Ecoute, s'il faut que je laisse tomber ce que j'ai fait jusqu'à présent pour revenir à mes sources, je suis prêt à le faire, mais j'ai besoin de travailler. Alors, on se donne du temps, on répète, et on fait le festival de Bourges d'avril 1999. Cela se passe bien, son agent enregistre le concert, et en écoutant après, je me suis dit que cela pouvait très bien faire l'objet d'un CD, ce qui fût chose faite. Comme Enrico a une grande agence qui travaille pour lui, cela a tout de suite été la folie : concert à Grenade, prochainement l'Olympia et une tournée prévue en Algérie. CMTRA : Il y a aussi un autre projet, celui d'un documentaire sur lequel vous avez été très présent, qu'est-ce que c'est ?

T.B. : C'est Denis Amar qui travaille avec Serge Moati qui voulait faire un film sur les pieds noirs. Puis, en lui racontant l'histoire de Raymond Leyris et de son assassinat qui a en fait provoqué le départ en masse de la communauté juive de Constantine et de tous les juifs d'Algérie, il a jugé qu'il fallait raconter cette histoire fabuleuse, aussi parce qu'aujourd'hui les langues se sont déliées. Et pour une fois, il ne voulait pas raconter l'histoire d'ici mais de là-bas.

J'ai eu finalement carte blanche pour partir en Algérie, rencontrer les gens, parler éventuellement de l'assassinat de Raymond Leyris et de sa musique. Le titre du film n'est pas encore définitif, mais une idée a été soumise : "La Villa des Roses", qui est une villa à Constantine dans laquelle Raymond Leyris a réalisé plusieurs concerts. Ce film est produit par Image et Cie et sera diffusé sur France 2 en janvier 2000. Propos recueillis par Catherine Chantrenne Contact :

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