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"Fleur d'exil", Premier album de Shams
Nos propres maîtres

Entretien avec Massoud Raonaq Marc Loopuyt : Shams, c'est Shams Tabriz ?

Massoud Raonaq : Tout à fait, vous l'avez bien reconnu, c'est Shams de Tabriz, le maître de Mawlana Rumi. C'est un personnage mystique, un peu légendaire d'après les histoires qui sont restées de lui, un très grand poète. Son élève, Mawlana, a fondé plus tard l'ordre des derviches tourneurs en Turquie. Est-ce que vous chantez la poésie de Shams Tabriz ? Votre pratique linguistique vous permet-elle d'aborder directement cette poésie ?

Oui, la direction, l'esprit du groupe sont tournés vers cet idéal de mysticisme et la philosophie humaniste qui en découle. Concrètement, nous chantons des paroles de Shams et de Mawlana. Nous avons vraiment la chance avec la langue persane d'avoir accès à des textes anciens. Il y a une langue persane parlée en Afghanistan et une langue persane ancienne écrite qui est restée figée depuis plus de 1000 ans. La langue écrite est une langue morte qui reste proche de la langue parlée. Elle est accessible, mis à part un certain vocabulaire plus recherché. Pouvez-vous présenter les instruments qu'on entend dans votre groupe ?

Les instruments que nous utilisons sont le robab, un instrument à cordes très ancien, certains parlent de 2500 années d'existence, qui serait originaire du nord de l'Afghanistan. Je veux bien le croire, on le trouve sous d'autres formes au Yémen, en Asie Centrale bien sûr...C'est un instrument de la famille des luths monoxyles.

Il y a aussi les tablas, percussions jouées dans le nord de l'Inde et en Afghanistan, différentes des tablas qu'on retrouve au Maroc. Le mot tabla est un mot arabe qui signifie percussions, tout simplement. Puis l'harmonium, qui est un instrument finalement assez récent, importé par les Anglais pendant la colonisation de l'Inde.

Nous avons aussi le dholak, un fût à deux membranes, une percussion traditionnelle et populaire par opposition aux tablas qui sont jouées pour des musiques de cour, savantes. Il reste une flûte traversière et un saxophone. La flûte est en bambou sans mécanique de clef, proche de la flûte bansouri jouée en Afghanistan et en Inde. C'est la famille du traverso des Indes.

Je ne crois pas que ce soit courant d'entendre le saxophone dans la musique afghane...

L'introduction de cet instrument s'est faite au XXe siècle dans la musique afghane. Au début du XXe siècle, on utilisait plutôt la clarinette. Ces instruments ont été importés par les Anglais. Le saxophone est utilisé pour le ghazal car pour les chansons populaires il convient moins que la flûte. Mais pour le ghazal, un genre de musique plus récent, on a cette liberté d'associer ces instruments. Est-ce que vous pouvez nous donner le nom de chaque instrumentiste et expliquer quelle est sa filiation...

Pour commencer par le plus ancien, Ghaffar Ehsani joue du robab. Il a eu une formation par un grand maître de robab, Ustad Attaï, au début de son apprentissage, ce qui s'aperçoit dans son style et sa rigueur, avant de développer le jeu du robab en autodidacte.

C'est un peu l'histoire de l'exil qui nous oblige à devenir nos propres maîtres. Il y a aussi Bismilah Khusravi qui pratique les percussions depuis une trentaine d'années. Il a commencé en Afghanistan avec Ustad Hâshem, un grand maître de tablas. En France, il s'est spécialisé dans d'autres percussions comme le dholak.

Notre flûtiste, Pierre Fassy, est un jeune musicien formé aux musiques classiques européennes, sa spécialité première est le saxophone. Il s'est mis depuis deux ans à la flûte traversière en bambou pour avoir une coloration plus proche de notre musique populaire. Il y a également Homayoun Raonaq, mon frère, chanteur autodidacte, qui avait commencé les tablas auprès d'un grand maître en Afghanistan. Malheureusement, nous avons été obligés de quitter l'Afghanistan très tôt et il a développé sa musique seul, en France. Il joue aussi de l'harmonium. Il nous arrive en concert de jouer à deux harmoniums mais pour le studio nous avons préféré en garder un seul pour une sonorité plus claire. Benafcha, ma sœur, chanteuse, chante depuis son plus jeune âge, elle est autodidacte. Elle est aussi danseuse pendant les concerts.

Moi, j'ai commencé les tablas en Afghanistan avec Soufi Qorbân Ali. Après un an d'études, j'ai dû partir d'Afghanistan. Par la suite, j'ai développé les tablas, la musique, le chant en autodidacte en France. Maintenant, j'essaie d'approfondir cette musique en prenant des cours de tablas avec le maître Pandit Shankar Ghosh, qui vient de Calcutta et des cours de chant, avec Yvan Trunzler, dans le domaine classique du système hindustani, des ragas, qui est aussi pratiqué en Afghanistan bien sûr. En écoutant le disque on a l'impression assez nette qu'il y a deux tendances du chant, avec des pièces populaires très enjouées aux mélodies bien dessinées, puis des préludes chantés, des sortes de “alap” qui font penser aux ragas. Vivez-vous différemment ces deux ambiances en tant que chanteur ?

Tout à fait, dans le répertoire que nous faisons, il y a les mélodies populaires instrumentales ou chantées, très rythmées, entraînantes.

A côté de cela, nous interprétons aussi des ghazals qui constituent un genre semi-classique. Généralement, les ghazals sont l'œuvre de très grands poètes, avec une signification profane. Au départ ce sont des chants de lamentations. Eshq , l'amour, est le maître mot du ghazal. Derrière ce vocabulaire amoureux il y a l'amour idéalisé, divinisé, un amour illimité, pur, et même si c'est un amour malheureux, il est d'autant plus positif. Un amour qui élève l'âme et fait que le chanteur deviendra mejnoun...

Oui. Dans l'album, il y a un ghazal de Shams de Tabriz, Paymâna, qui parle de l'ivresse. Chez Shams de Tabriz, il n'y a aucune ambiguïté, les symboles sont utilisés pour parler d'une réalité mystique. Paymâna veut dire "la coupe ". Il dit en substance "j'ai goûté d'un vin qui ne peut être contenu dans aucune coupe". C'est une allusion à l'illimité, il parle de sa perte d'identité dans l'ivresse, il est unifié dans l'universel à travers le symbolisme du bien aimé. N'est-ce pas un pari que de transmettre ces thèmes, qui ont l'air de compter pour vous, à un public occidental ?

C'est vrai que c'est un engagement auquel je tiens particulièrement que de faire découvrir cet aspect très méconnu de la culture afghane. Avec le décalage culturel qu'il y a entre l'Orient et l'Occident, effectivement, cela peut tourner à la gageure. Mais je pense que les gens y sont très sensibles, ils arrivent à percevoir clairement ce que nous essayons d'exprimer. Je dirais même qu'il est plus facile de transmettre ce style de message à des Français qu'à des Afghans. A quoi cela est-il dû, normalement l'Orient est le territoire de la préoccupation subtile?

Je crois que l'on cherche ce dont on a manqué. Les Afghans, à l'heure actuelle, dans leur grande majorité, sont tournés vers les valeurs qui ont fait l'Occident dans les domaines technologiques, commerciaux, le confort matériel... Alors qu'en Occident, on est plus tourné vers une contestation des valeurs hédonistes en faveur de valeurs spirituelles.

J'avais entendu dire par un voyageur que les Talibans avaient brûlé les instruments de musique des Afghans sur les places des villages. Cela s'est-il vraiment passé ? Exactement, j'ai des témoignages d'amis musiciens qui ont été obligés d'enterrer leurs instruments, de les mettre dans des cachettes sous la terreur de ces Talibans. Vraiment la période des Talibans a été une régression en ce qui concerne les libertés, toutes formes de liberté d'ailleurs.

Ce genre de rigorisme antiartistique s'est déjà produit dans l'histoire... L'interdiction religieuse a porté aussi sur la musique en Iran pendant plusieurs siècles à l'arrivée de fondamentalistes aux premiers temps de l'Islam, de sorte que les musiciens iraniens ont été obligés de contourner ces interdictions en créant des formes religieuses, des lamentations pour continuer à véhiculer la musique iranienne.

Comme le Ta'zié par exemple... Vous pratiquez aussi d'autres musiques qui n'ont rien à voir avec ce disque. Vous existez donc musicalement sur deux plans différents, avec deux modes d'expression ?

Oui, je participe à d'autres groupes de musique dont le groupe de fusion Kabul Workshop, inscrit dans ce que l'on peut appeler le phénomène de l'électro world. Ce groupe existe depuis 1998. Je pense que j'essaie d'exister surtout sur le plan principal d'une musique ouverte qui ne s'arrête pas aux traditions, à mes traditions d'origine.

L'apport de l'Afghanistan est celui qui m'anime encore, mais, en tant que musicien, je me sens tout à fait en symbiose avec tous les musiciens du monde. J'ai aussi participé à l'album Djambo Sana avec de fortes influences africaines, jazz, afghanes... Il y a une idéologie dans le groupe Shams qui semble compter pour vous. Dans Kabul Workshop est-ce la même idéologie ou y en a-t-il une autre, sous-jacente ?

L'esprit de Kabul Workshop est de créer un pont musical entre Kabul, sa région et l'Europe, avec cette idée de workshop, d'expérience, c'est un atelier de travail et de recherches. Idéologiquement, nous sommes portés par des valeurs humanistes et nous sommes très proches des grandes questions qui nous ont interpellés dans l'actualité mondiale. Chaque fois, nous essayons d'expliquer que la libération que nous entrevoyons c'est la libération des humains, par le bannissement de la violence.

C'est une idéologie non violente, humaniste.

Shams a aussi une vue très large, très ouverte. Mawlana a dit "Certaines personnes disent que je suis originaire de Farghâna, d'autres que je suis originaire du Turkistan, mais en fait je ne suis ni de Farghâna ni du Turkistan, je suis moitié du Turkistan, moitié de Farghâna". C'est un peu cet esprit de l'exil et du déracinement que nous voulons développer. Le titre de l'album est "Fleurs d'exil". C'est l'exil dans son apport positif, avec le respect que nous avons pour toutes les influences qui nous animent. Personnellement, je ne me sens pas seulement Afghan, mais je me sens originaire de France entre autres, de partout où j'ai voyagé. Propos recueillis par M.L. Contacts Shams

Bruno Jacquet

[soundofworld@ultimae.com->soundofworld@ultimae.com] Référence du CD :

" Fleurs d'exil ", sortie 2003,

Sound of World, Harmonia Mundi


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