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Prononcer gam'lane
Les vertus du gamelan balinais

Entretien avec Jean-Pierre Goudard CMTRA : Jean-Pierre Goudard, vous êtes directeur artistique de l'association Kotekan. En quoi consiste son activité ?

Jean-Pierre Goudard : Fondée en 1999, l'association Kotekan travaille dans deux directions : d'une part la formation musicale par le biais du gamelan balinais, instrument que l'association possède et a fait construire spécialement ; et d'autre part une activité de création avec des groupes divers. Bien évidemment, ces deux activités sont en interaction puisque dans le cadre de la formation, la création a sa place : on ne travaille pas seulement à la connaissance d'un répertoire traditionnel. Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots ce qu'est le gamelan ?

Il y a globalement une vingtaine de sortes de gamelans présents sur l'île de Bali. Il en existe d'autres sortes à Java, mais ils ont des liens de parenté. Un gamelan, c'est un ensemble d'instruments à percussions constitué de métallophones et de gongs, qui pour certains sont des gongs suspendus, et d'autres des gongs posés. Notre propre gamelan est en bronze, monté sur des cadres de bois sculptés. Les sculptures représentent des scènes issues du Ramayana, qui est, avec le Mahabarata, un des grands livres de référence de la tradition hindouiste/bouddhiste. Quels sont ses contextes d'utilisation à Bali ?

Le gamelan est un instrument pensé pour le plein-air et il possède des fonctions avant tout cultuelles. Il est associé à un certain nombre de cérémonies plus ou moins sacrées dans lesquelles on célèbre un rapport au cosmos, au monde, mais aussi à la nature, et à la collectivité dans sa verticalité organisationnelle. Précisons que le mot Bali, en balinais, signifie offrande : c'est une île-offrande, et toute sa vie traditionnelle tourne autour d'une offrande pour l'équilibre du monde.

À Bali, entre les différents calendriers qui ont cours, les rendez-vous traditionnels qui rythment la vie des gens, les référents à des confréries de travail, les cultes rendus aux ancêtres immédiats ou idéalisés, les occasions de fêtes sont multiples.

Toutes les formes de célébration : danse, chant, théâtre d'ombres, masqué ou de marionnettes, sont accompagnées par un gamelan. Les joueurs de gamelan balinais ne sont pas professionnels : ils sont au service de leur communauté. Mais la multiplicité des événements (deux à trois fois par semaine minimum) fait que les gens ont acquis un niveau musical assez extraordinaire. Comment fonctionne cette musique ?

Notre gamelan porte à Bali le nom de Gong Kebyar. C'est un grand gamelan sur lequel on peut jouer à 25 ou 27 musiciens selon la répartition. C'est avant tout un instrument collectif pensé comme une unité : ce n'est pas exactement un orchestre.

On peut difficilement rentrer chez soi et répéter sa partie tout seul : d'abord c'est très lourd, et puis ça n'a pas de sens. Toutes les parties sont développées en inter-réaction les unes aux autres. L'idée, avec le gamelan, c'est que toute la communauté puisse participer.

On se partage donc ce qu'il y a à jouer. Il existe une réelle complémentarité structurelle entre les parties des différents instruments et ce procédé de composition permet d'atteindre des vitesses fabuleuses. On pense que deux éléments principaux ont abouti à ce partage extrême : d'une part, Bali est une société de riziculteurs, où le partage strict de l'eau est un gage de survie sociale, d'autre part les gens sont environnés de beaucoup de sons de la nature dont le chant des batraciens qui s'apparente un peu à un jeu de questions/réponses très rapide.

Tout cela a certainement formé l'oreille des Balinais, ainsi que forgé leur manière de penser la musique. De ce partage, qui est dans un premier temps une réflexion sociale, naissent des dispositions et compétences inattendues qui rejaillissent et sont réinvesties sur un plan purement musical : l'aller-retour est constant. Pourquoi pensez-vous que le gamelan soit particulièrement intéressant à aborder avec les enfants ? Cet instrument permet-il de développer des compétences musicales spécifiques ?

Tout d'abord, c'est un instrument qui n'est pas plus facile que les autres, et qui peut être abordé avec des publics très variés. Si ce sont de petits enfants, je reste sur la manipulation du son et l'improvisation. Plus ils sont grands, plus je peux intégrer du répertoire traditionnel ou bien de la création.

Ce qui est évident, c'est que le gamelan est un instrument collectif qui fait la part belle à tous et chacun. La manière de gérer la musique à l'intérieur d'un gamelan est à étage : certains vont aller à une vitesse, d'autres deux fois plus vite, d'autres quatre fois, etc. On peut donc trouver de la place à tous dans un premier temps. Les acquisitions musicales spécifiques qu'il permet sont principalement l'éducation rythmique et la capacité à jouer en groupe, qui à mon avis sont liées : cet instrument permet en effet de toucher tout ce qui concerne l'écoute, et même de déborder sur des compétences un peu parallèles comme le respect et l'écoute de l'autre, la capacité à construire la collectivité. Ce qui me passionne dans le gamelan, mais qui sort un peu du strict cadre balinais, c'est le rapport à l'individu. À Bali, on est totalement dans le collectif, ce qui peut devenir pesant. Or le gamelan me semble être un instrument-carrefour pour réconcilier l'individu et le collectif : ce que j'essaie de développer dans mes compositions et les temps de formation, c'est aussi de mettre le collectif au service de l'individu. Je m'appuie également sur un travail vocal, dansé, gestuel, voire de texte. Pour les sessions de formation, tout dépend de l'intention qui est derrière : on peut mettre la musique au service d'un projet beaucoup plus vaste, celui de la classe ou de l'école, ou encore du lieu que l'on habite...D'ailleurs, les dispositifs dans lesquels peut s'intégrer un travail avec le gamelan, qui sont principalement les classes à PAC et les classes artistiques, demandent un projet précis où la musique n'est pas forcément le seul élément : j'ai dernièrement travaillé avec une classe sur le thème de l'eau par exemple. Quelle est la part d'inspiration traditionnelle dans vos travaux de création ?

J'utilise des principes d'orchestration balinais que j'applique à mon propre univers. Je me suis aperçu que cette façon de faire me permettait de ne pas copier la musique traditionnelle et de ne pas m'inscrire dans un rapport au monde qui n'était pas le mien.

Mais en même temps, je conserve l'essentiel, selon moi, qui est le rapport entre l'individuel et le collectif et une certaine organisation spatiale des choses. La grosse différence entre mes compositions et la musique traditionnelle indonésienne, c'est l'utilisation du silence. À Bali, le silence n'existe pas dans la musique : il faut remplir le temps, comme pour le fixer. Pour moi, c'est un espace musical intéressant. Est-ce que vous notez vos compositions ?

Oui. À partir des recherches et du travail de la célèbre ethnomusicologue Catherine Basset, j'ai développé mon propre système de notation avec des sortes de diagrammes qui matérialisent la conception cyclique du temps selon les Balinais : on y visualise toutes les parties simultanément. Les instruments de base et peu rapides comme les grands gongs sont situés au centre du cercle. Plus on s'éloigne du centre, plus les parties sont virtuoses et brodées. Chaque son est représenté par une case, dont la taille correspond à la durée, et les couleurs sont régies par la symbolique balinaise.

À Bali, ce genre de partition n'existe pas, tout est dans la tête. Pour mes créations, je distribue les diagrammes aux musiciens : certains s'en servent et d'autres préfèrent rester dans l'oralité, c'est un mélange. Avec les enfants, le travail est essentiellement oral. Selon le projet des instituteurs, les enfants participent ou non au procédé de création, souvent, ils inventent eux-mêmes leurs motifs. Une des grandes forces du gamelan, c'est que tout le monde en sait autant que le chef d'orchestre, contrairement à l'orchestre occidental, où l'on met souvent beaucoup de temps avant d'entendre les parties des autres. À Bali, il y a toujours le référent au Tout : c'est parce qu'il y a tout que le musicien arrive à jouer. D'ailleurs, dans un gamelan balinais, tout le monde sait tout faire, les musiciens sont interchangeables. De tout ceci résulte une exigence, une concentration, une écoute mutuelle qui est très intéressante.

C'est un mode de fonctionnement qui est très utile à expérimenter pour nous, occidentaux. Est-ce une nécessité pour vous de sortir l'instrument de son contexte cultuel pour pouvoir l'enseigner ?

C'est une évidence. Nous ne sommes pas à Bali et mon respect de cette culture n'implique pas un prosélytisme des cultes balinais. Cependant, il y a une sorte de magie poétique qui se dégage du gamelan. C'est un instrument très beau : les gamins sont toujours étonnés et attirés par lui. J'essaie de garder autour de son utilisation un certain cérémonial : un travail sur la lumière dans les salles de spectacle, de l'encens, des offrandes pour célébrer le partage de la rencontre et du travail effectué ensemble.

Je tiens au rituel et je ne souhaite pas banaliser cette pratique. Le respect de l'instrument induit et nourrit le respect de tous et de chacun. Cette année, dans le programme de l'option musique au bac, le 1er sujet concernant les musiques du monde a fait son apparition. Il s'agit justement du gamelan... Quel est votre sentiment sur ce point ?

C'est plutôt une bonne nouvelle qu'on sorte d'un intérêt exclusif pour la musique savante occidentale. Ce que je regrette simplement, c'est que l'aspect pratique collective contenu dans ce sujet n'ait, pour des raisons diverses, pas été exploité.

Les musiciens ou professeurs que j'ai pu rencontrer, et qui n'avaient pour référence que l'écoute de disques et la lecture d'ouvrages sur le gamelan, étaient malgré tout très loin de la réalité. C'est d'autant plus dommage que, comme nous l'avons vu tout à l'heure, les acquisitions proposées par cet instrument vont bien au-delà de la découverte de la musique traditionnelle balinaise : cela aide à être mieux musicien, tout en étant profondément ancré dans le collectif.

On travaille sur l'individu, son rapport aux autres, à la fois dans sa nécessité musicale, mais aussi humaine. Il y a des rapports à établir avec la philosophie, l'histoire, la connaissance du monde. On est au cœur d'une pratique qui peut rassembler tout cela.

Il existe des cadres institutionnels qui permettent de réaliser des ateliers de pratique, pour peu qu'on s'y prenne relativement à l'avance. Justement, communication importante : le sujet du gamelan est renouvelé pour l'an prochain ! C'est le moment ou jamais pour les gens intéressés de prendre contact avec nous. Propos recueillis par LM Contact

Association KOTEKAN - Jean-Pierre GOUDARD

Île Cordon La Pierre 01300 BRÉGNIER-CORDON

04 79 87 25 64 ou 06 84 05 66 08

[goudardpauget@wanadoo.fr->goudardpauget@wanadoo.fr] / www.kotekan.fr.st Référence pour le Gamelan :

"Musique de Bali à Java, l'ordre et la fête"

par Catherine BASSET, livre disque

Cité de la Musique/Edition Actes Sud . Anthologie des Musiques de Bali

4 volumes de 2 CD, par Catherine BASSET, distribué par ADES n° 92601 - 1, 2, 3 et 4


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