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Les porteurs d'eau

La quête du lien, métissage et tradition orale sur l'Ile de la Réunion. "Les Porteurs d'Eau", spectacle "coup de coeur" choisi et programmé en exclusivité sur le grand Lyon par l'Espace Beaudelaire à Rilleux-La-Pape, les mercredi 20 et jeudi 21 janvier au Gymnase Louison Bobet - Avenue du Général Leclerc - Rilleux-La-Pape (69) Entretien avec Philippe Pelen, metteur en scène Philippe Pelen : La compagnie de Théâtre Talipot est une compagnie professionnelle installée sur l'île de la Réunion depuis 12 ans, qui a pour éthique à la fois le métissage et les traditions orales, c'est à dire la quête du lien.

A la Réunion, tout le monde vient d'ailleurs, d'origine européenne, africaine, chinoise, malgache ou indienne, seulement on perd un peu la mémoire de son histoire. Le premier homme est venu sur l'île il y a 350 ans suivi par 200 ans d'esclavage. Alors ce qui nous anime à travers notre art, notre théâtre, c'est de retrouver le "lien", mais un lien au-delà même de notre conscience puisque la conscience et la mémoire historique sont très limitées. Tout notre travail est basé sur le corps et la mémoire du corps, avec l'énergie qui habite ce corps : cet exil, cette errance que le corps porte en lui. Travailler sur l'idée de l'eau c'est aussi travailler sur la mémoire de l'eau et sur la quête du lien avec toujours ce proverbe africain qui nous anime "On est ce que l'on tisse". Notre spectacle est porteur d'eau. Ce n'est pas vraiment une histoire, mais plutôt une série de rêves venus de l'inconscient, avec un thème qui sous-tend bien sûr tous ces rêves, qui est l'idée du lien, de la rivière qui relie les mondes entre eux, les peuples entre eux, toutes les formes du paysage entre elles, depuis la source, en passant par la montagne, la vallée, la plaine jusqu'à l'océan infini. Lorsque cette rivière s'assèche, que la source se tarit, et bien il faut retrouver cette onde magique qui relie les êtres entre eux. L'idée du spectacle c'est la quête de cette onde, et en même temps c'est l'idée de la soif, la soif d'être et la soif à étancher parce que, déjà, sur un plan premier, "l'eau c'est la vie". La soif d'être c'est aussi trouver son espace.

Par exemple, la guerre peut être occasionnée par l'eau, en Afrique ou ailleurs, par les détournements de l'eau, mais c'est aussi la soif d'identité, la soif d'être reconnu, la soif d'aimer... Toutes ces soifs sont chantées, avec un énorme travail sur le chant, sur les sons, réalisés par le compositeur malgache Ricky qui nous vient, lui, du pays de la soif.

Ces soifs sont jouées, dansées, avec un travail sur le mouvement, par quatre acteurs réunionnais, comorien et malgache. Pour la mise en scène, la scénographie et la chorégraphie, j'ai travaillé avec un peintre scénographe comorien, Modali, et une chorégraphe indienne, Savitry Naïr. Cette série de rêves qui nous vient de l'Océan Indien est jouée par quatre êtres très dépouillés qui se transforment comme cela, à vue, sans avoir un caractère par personnage ou un rôle, mais en incarnant des entités, des soifs, des situations, des émotions : ainsi ils jouent à la fois le rôle des animaux, des hommes, des femmes gardiennes de la source, des guerriers, des enfants, des chamans, des chercheurs d'eau comme des chercheurs d'or (en frappant le sol)...

Pour la mise en scène c'est le parti-pris de la fluidité. Cela à l'air compliqué quand j'en parle mais c'est très simple : on a joué ce spectacle pour des publics très différents, enfants, adultes, en Afrique, en Europe, avec la même version parce qu'on ne change rien, jouée soit en français, soit en anglais (il y a très peu de textes).

C'est merveilleux de pouvoir toucher quelque chose de très universel, et c'est en même temps notre travail, à la fois de partir de racines et d'aller vers l'universel et l'essentiel. Le texte, très peu présent, est là pour donner des petits cailloux au sol pour accompagner le rêve, sinon il n'y a pas grand chose à comprendre, c'est plus une expérience d'émotions directes pures, une espèce de coeur à coeur avec des émotions très enveloppantes, quelque chose qui remonte de loin, comme un théâtre de l'origine, comme reprendre un souffle. CMTRA : Le décor est très sobre et les lumières très importantes !

P.P. : C'est d'une part un spectacle présenté d'une manière très minimaliste, avec comme décor un arbre sec et une poignée de terre ocre. D'autre part la lumière est très importante, l'acteur joue avec, les scènes sont comme des tableaux vivants qui s'enchaînent. Nous avons travaillé avec le peintre Modali qui a réalisé des esquisses en voyant notre travail évoluer. Ces esquisses sont devenues pour nous comme l'essence du mouvement qu'il avait repéré, ce qui nous a incité à aller dans l'essence des choses, à éliminer tout ce qu'il y avait en trop.

Ce "va-et-vient" entre le travail du metteur en scène, du chorégraphe et du peintre était extrêmement intéressant. Le spectacle tourne d'ailleurs avec l'exposition du peintre Modali, qui est pour nous comme une espèce de rivière : en projetant les esquisses du spectacle sur des toiles de jutes, le public est censé traverser ces toiles comme le lit d'une rivière asséchée, pour arriver à ce qui se passe dans la représentation, qui serait un peu la source, l'appel de l'eau, la quête. CMTRA : Côté musique et chorégraphie ?

P.P. : La musique est extrêmement importante, elle a été composée par Ricky Randimbiarison, artiste malgache très connu dans son pays. Ricky fait tout un travail sur les musiques indigènes, les musiques d'origines, bien avant les colonisations... Il travaille sur les musiques primitives que l'on appelle la musique vaszimba. Ricky vient du sud de Madagascar, il vient d'une ville qui s'appelle "la ville où on vend l'eau", et c'est vraiment le désert, c'est très desséché ! donc sa culture, son enfance ont été pétries par l'appel de l'eau, par les chants, par les rituels,..., c'était vraiment l'homme qu'il nous fallait. Il a composé une musique polyphonique, avec des chants à quatre voix, a capella, très beau, on chante beaucoup dans ce spectacle, et nos quatre personnages chantent cette musique d'appel d'eau.

Les musiques sont rythmées par quelques instruments, notamment des bambous que l'on frappe au sol. Le bambou est l'instrument qui fait "lien" dans toutes les images du spectacle. On le frappe au sol, on s'en sert comme bâton de pluie aussi, on s'en sert comme un didjéridoo par exemple, où on souffle dedans un peu comme des trompes, c'est aussi un instrument de percussion que l'on frappe contre un autre bambou.

Nous utilisons d'autres instruments : des tambours, des troncs creux que l'on appelle spetika, et puis la valiha, un bambou entouré de cordes métalliques, qui est un peu la kora des malgaches, avec un son très pur, très fort et très subtil. Cela crée des notes comme des gouttes d'eau. Il y a donc un gros travail sur les sons traditionnels et les musiques traditionnelles, mais présentés de façon contemporaine. C'est exactement le même travail que pour la partie théâtrale : on s'inspire d'une énergie, d'une forme qui est née de la tradition orale de l'Océan Indien, mais en même temps pour servir un théâtre contemporain. Le même travail a été fait au niveau de la danse, avec la chorégraphe Savitry Naïr, danseuse indienne de Madras, qui a été la première danseuse à aller travailler en France.

Elle est l'assistante de Maurice Béjart depuis 20 ans, elle travaille avec Pina Bauch, et du côté de Lyon elle a travaillé avec Maguy Marin. Alors, c'est très intéressant pour nous parce que Savitry fait le lien entre l'Orient et l'Occident. Avec elle on a travaillé l'essence du mouvement, la rivière du mouvement, sur la dramaturgie, et chercher comment le mouvement peut porter la théâtralité. Notre travail se nourrit en fait de regards croisés, réunionnais, comorien, malgache, indien... pour justement créer ce lien au-delà des cultures. CMTRA : Depuis quand jouez-vous "Les Porteurs d'Eau" ?

P.P. : Ce spectacle a été crée en Afrique du Sud en juillet 1997, au festival de Grahamstown, un grand festival un peu comme Avignon mais pour l'Afrique du Sud, que l'on ne connaît finalement pas beaucoup, mais où il se passe de très belles choses.

Ensuite, nous l'avons créé sur l'Ile de la Réunion, et depuis nous avons tourné un peu partout en le jouant près de 170 fois : représenté dans plus de 20 pays africains, nous l'avons également joué en Pologne au festival Kontakt, festival international pour les pays de l'Est, où nous avons eu le bonheur de remporter le premier prix. C'était extraordinaire parce que c'est vraiment un autre monde, une autre culture, et le spectacle a été très bien reçu.

Ce qui nous émeut le plus c'est cet universel là. Ce prix nous a été en plus décerné par un contemporain et ami de Grotowski, célèbre metteur en scène polonais. Ensuite, nous sommes partis à Cergy-Pontoise près de Paris, au festival de Montpellier le "Printemps des Comédiens", puis à Avignon. Là, c'était extraordinaire, on a joué au Big-Bang Théâtre tous les jours, on refusait des centaines de personnes, on a reçu plus de 500 directeurs de théâtre, on a été sollicité par beaucoup de journaux nationaux, ce qui a été tout à fait bien pour nous, car nous venons de loin, et on commence à peine à être connu, donc on est très émus pour tout cela...

Notre sentiment pour le spectacle "Les Porteurs d'Eau", après douze ans de travail, est que nous sommes arrivés à quelque chose de plus épuré, de plus essentiel, de plus défini au niveau de la démarche. Ce n'est pas facile du tout de travailler au niveau de quelque chose d'interculturel ou de transculturel, c'est motivant, mais on tourne beaucoup autour avant de trouver. Donc ensuite nous sommes partis au festival d'Edimbourg, trois fois plus grand qu'Avignon. Nous avons encore eu le bonheur de gagner le premier prix, cette fois décerné par la réalisation même du festival, c'était très heureux, et du coup cela nous amène beaucoup d'ouvertures dans le monde.

Le spectacle est aujourd'hui programmé un peu partout jusqu'à l'an 2001, à Taiwan, en Afrique encore, en Europe. Puis, il y a une tournée française prévu dans la région Rhône Alpes, dans l'est, un peu partout, et surtout nous allons jouer le spectacle au Théâtre de la Ville à Paris pendant trois semaines fin 1999. CMTRA : "Les Porteurs d'Eau" et le problème de l'esclavage sur l'Île de la Réunion, c'est plutôt une réalité fondée qu'une opportunité par rapport au 150ème anniversaire en 1998 ?

P.P. : Effectivement, cela fait douze ans que l'on travaille dans le sens de l'éveil, de la libération, et du lien, comme une porte qui essaye de s'ouvrir. Au-delà de cet anniversaire qui peut sembler être opportuniste parfois aux yeux des créoles, même si cela est très important : il est évident qu'il faut faire surgir des événements comme cela de notre mémoire collective, regarder son histoire et savoir d'où l'on vient pour mieux choisir son avenir. C'est essentiel mais il se trouve que cette "invitation" pour l'année 1998 est une invitation à travailler au quotidien, car c'est l'histoire d'une vie.

Travailler sur la mémoire c'est aussi travailler sur une mémoire brisée, travailler sur les liens brisés, sur la réconciliation, et cela suppose qu'il y a eu une fracture, une rupture. L'esclavage c'est cela pour nous, c'est l'idée que le métissage est un acte conscient, libre aujourd'hui, qui nous amène à quelque chose d'extraordinaire puisque c'est l'accueil de l'autre : ce qui signifie que si j'accepte de me marier avec une autre culture, que je l'accueille jusqu'en moi, que je comprend que l'autre est le prolongement de moi-même, que c'est une partie de moi-même encore non révélée, c'est qu'il y a un lien très fort entre l'autre et moi. Alors si je me marie avec l'autre avec la différence, cela veut dire que l'enfant que je vais avoir sera lui aussi différent de moi.

C'est un enjeu extraordinaire parce qu'aujourd'hui on a tellement envie d'avoir des enfants qui nous ressemblent, jusqu'au point de se cloner, alors le métissage c'est aussi cette chance là. Mais, il ne faut pas se leurrer, le métissage dans l'histoire est souvent né d'un viol, je veux dire que le premier enfant métis à la Réunion est né d'un colon blanc qui a violé une esclave malgache. Notre travail est à la fois nourri de cette blessure, et en même temps aujourd'hui de cette espérance qu'il provoque. L'esclavage est une grande partie de notre mémoire, puisque rappelons-le, l'île n'a que 350 ans et 200 ans d'esclavage. Des hommes de cultures différentes ont été projetés sur cette île, provenant d'Afrique, de l'Inde, de Madagascar, et on les a obligé à être serviles, à travailler comme des animaux, à ne pas être considérés dans leur qualité d'homme. Toute une culture est donc née avec l'esclavage qui s'appelle la culture du "fénoir", c'est à dire la culture de la nuit : la nuit les esclaves se retrouvaient pour laisser chanter leur âme, appeler leurs dieux, et ces esclaves se retrouvaient entre eux qu'ils viennent de n'importe quelle tribu malgache, africaine, indienne ou chinoise.

Cette culture du fénoir a provoqué le croisement, la rencontre et le métissage, beaucoup d'esclavages pratiquaient cette culture de la nuit, qui maintenant peut aller au grand jour. C'est cette grande culture de la nuit que chacun porte en son inconscient et qu'il faut mettre au jour. Contact

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