Entretien avec Annie Rumani, chorégraphe et danseuse de Kalpa
CMTRA : Pouvez-vous revenir sur
votre parcours ?
J’ai commencé par la danse contemporaine,
puis j’ai monté mes chorégraphies
personnelles. Je suis danseuse
professionnelle depuis 1978. C'est en
86 que je me suis tournée vers l’Inde.
J’ai commencé, en Inde, l'apprentissage
du Kathakali traditionnel. J'y suis
restée plusieurs mois et n'ai pas cessé
d'y retourner, pratiquement tous les
ans. J’ai vraiment plongé dans la culture
indienne et le Kathakali. Comme
c’est un art extrêmement riche et que
l’on n’a jamais fini d’apprendre, ça
continue…
Qu’est-ce que le Kathakali ? Quelle
est son origine, comment se pratique-
t-il aujourd’hui ?
Les origines du Kathakali sont multiples.
Il y a d'abord l’art martial Kalaripayatt,
il y a d’autres arts traditionnels
de l’Inde qui sont le Kutiyattam,
le plus ancien théâtre du monde, et le
Bharata Natyam, le Krishnanattam...
Dans sa forme actuelle, le Kathakali
vient du XVIIe siècle. Mais évidemment
ses ancêtres sont bien plus
anciens, c’est un long processus qui l'a
amené à sa forme actuelle. Autrefois,
l'apprentissage se faisait de maître à
disciple. Aujourd’hui, c’est toujours de
maître à disciple mais ça se fait au sein
d’écoles.
Présentez-nous la chorégraphie de
« Kalpa. »
Depuis 1986, j’ai été au contact de mes
deux maîtres et j’ai été aussi au contact
de beaucoup de lectures sur l’Inde. On
ne peut pas prendre le Kathakali seulement
comme une technique. J’aime
considérer l’art dans son contexte,
celui de la culture indienne, sa philosophie…
Partant de là, entre la danse
contemporaine de mes origines et le
Kathakali, il y a eu une espèce d’alchimie
qui m'a permis de construire
cette pièce. « Kalpa » signifie : « une
fabuleuse période de temps ». C’est
quelque chose d'important dans la philosophie
de l’Inde. Brahma, Vishnou,
Shiva, sont les trois principes qui
pétrissent tout ce qui nous environne.
Vishnou, le dieu de la vie, confère la
préservation, Shiva, la dissolution et
Brahma, la création. Je suis partie de
cette trilogie. L’image du dieu Vishnou
étendu sur l’océan, entre deux cycles
du monde, c'est-à-dire entre une création
et une dissolution, c’est de là que
j’ai construit une danse, sous une
forme contemporaine, j'y tiens. C’est
important parce qu’en Inde on ne trouvera
pas cette danse-là en Kathakali
traditionnel. Je l’ai construite à partir
de ma sensibilité, une manière de voir
le monde, ce cycle infini, cette vision
de la création. Mais ce n’est jamais
que mon interprétation.
C’est un solo de danse accompagné
de chant et de percussions ?
La présence sur scène des deux musiciens
est très importante. Le chanteur,
Yvan Trunzler, me raccroche vraiment
à l’Inde, par le chant Dhrupad (c'est un
art à part entière qui ne fait pas du tout
partie du Kathakali). L'autre musicien,
Roméo Monteiro, est à ma connaissance
le seul musicien à jouer du
chenda, un des instruments du Kathakali
traditionnel, même si je ne l’utilise
pas comme tel. Il joue aussi du mridangam,
et d’autres instruments,
notamment des percussions métalliques
qui accompagnent aussi dans
le Kathakali traditionnel. Ainsi, je réinterprète,
je prends appui sur le Kathakali
pour créer cette pièce : trois personnes,
pratiquant des arts indiens. Je
créé la chorégraphie, eux la musique.
Dans quel type de lieu se joue Kalpa
et pour quels publics ?
Je pense que Kalpa peut se jouer pour
tous les publics. Bien sûr pas les petits
enfants mais en ce qui concerne les
adultes, il n’y a aucune restriction. Il
n’y a pas un public particulier qui peut
voir Kalpa, il ne faut pas forcément
avoir une connaissance approfondie
des arts de l’Inde. C'est grâce à Patrice
Charavel (Amphi culturel de l’Université
Lumière Lyon 2) que j'ai eu la
possibilité de montrer ce travail. Le
chorégraphe Pierre Deloche et
l’Opéra Théâtre de Saint-Étienne
m'ont accueillie lors de la préparation
de ce travail. Actuellement je cherche
des lieux susceptibles de représenter
Kalpa. Dans des conditions idéales,
cette pièce nécessite un grand plateau.
Propos recueillis par Patrice Brison
Annie Rumani a fondé l'association Maya.
Elle propose de nombreux spectacles inspirés
de la tradition de l'Inde. L'association donne
régulièrement des stages et des ateliers.