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Archives sonores du CMTRA















CMTRA : Vous avez récemment déposé votre fond d¹archives sonores au CMTRA, il est a été sauvegardé et il est aujourd¹hui consultable dans nos locaux. Pouvez-vous nous en faire une petite présentation?

Mes premiers enregistrements datent de 1975-1976. A l'époque c'était une démarche complètement personnelle, j'avais fait l'acquisition d'un "Uher", comme les copains. On est parti en virée sur l'Aubrac... Un peu plus tard, je me suis retrouvé dans le cadre de "l'Université rurale bressane", alors que j'étais animateur aux Foyers Ruraux. C'est à ce moment que j'ai commencé, avec Agnès Guillot et d¹autres des enquêtes un peu plus conséquentes, sur les traditions et les musiciens de conscrits, très développés en Bresse. mais aussi sur des joueurs de vielle, d'accordéon, de clarinette, des chanteurs et chanteuses... Puis il y a eu, avec Patrice Martinot, la rencontre avec les musiciens de la Petite Montagne (contreforts du Jura), les frères Paul et Henri Lambert (clarinette, violon, et histoires de vie !), et parallèlement un travail approfondi avec Aymé Pommatau, joueur de vielle et de clarinette originaire du Revermont, auquel a participé Olivier Richaume. Puis en 86, retour sur les musiques de conscrits, pour la réalisation de l'Atlas sonore, en particulier avec Gaston Laclayat. Qu¹est-ce qui vous a poussé à cette époque à prendre le micro pour aller enregistrer ces musiciens ?

Ce n'est pas un fond très dense ni très méthodique, mais il contient quelque belles pépites, et c'est aussi, en soit, le témoignage d'une époque, d'un désir d'une génération pour pousser la porte du merveilleux exotique au plus près de chez soi, comme la découverte d'une civilisation parallèle occultée, une archéologie du contemporain... Cela, c'était au début, la collecte d'anciens fonds musicaux comme une collection de vieux meubles ou d'objets rustiques, pris comme témoignage esthétique admirable ou insolite, enraciné dans une culture menacée... Pour nous, jeunes urbains enfants de 68, il y avait aussi le mythe d'un bonheur alternatif dans des campagnes épargnées et innocentes du progrès ! on en est vite revenu ! Mais d'une certaine manière, on a tout de même trouvé notre Graal : dans la rencontre humaine, dans ces complicités improbables qu'on a trouvées sur la seule idée de recueillir des savoirs et des histoires de vie, d'écouter et de partager une pratique musicale, de s'intéresser à d'autres formes de performances esthétiques et sociales que celles habituellement convenues. Et puis on s'est construit un regard, tout autant qu'une oreille, décalés et féconds, et paradoxalement pleins de perspectives, sur l'altérité culturelle, sur la diversité esthétique, sur la vanité des académismes, sur les apprentissages et les manières de transmettre... On a redécouvert l'Art brut et appris la vie ! Et en même temps, ce qui nous a distingué d'autres approches, c'est que nous n'étions pas dans une recherche folklorique ou identitaire. Il ne s'agissait pas de mettre en scène "la beauté du mort", mais plutôt de renouer avec un socle de savoirs-faire qui nous paraissaient plus originels, plus utiles ou plus accessibles que les académismes. Ou tout simplement plus poétiques. Bien sûr ce n'était que le début d'un voyage, chacun a fait son chemin ensuite, mais il y a eu quelque chose d'initiatique dans ces collectes des années 70. Pour moi, un événement significatif a été la rencontre avec les musiciens de conscrits. Etre objecteur de conscience et s'intéresser aux traditions a première vue militaristes des conscrits était paradoxal ! Mais la contradiction n'est qu'apparente. Les musiciens de conscrits, en Bresse, sont de vrais héritiers de traditions ménétrières, et les rituels des conscrits et des "classes" sont un extraordinaire creuset de sociabilité. Pouvez-nous décrire les conscrits? Pouvons-nous parler d¹une forme de rituel?

Les jeunes de dix sept à vingt ans se regroupent, et pendant trois années successives, pendant l'hiver, ils procèdent à des "tournées", qui s'achèvent par deux jours de fête : messe, dépôt de gerbe au "monument", photo des classes, banquet, bal, distribution des "matefaims", enterrement de la classe... La musique est tout le temps présente. Les conscrits ont "leurs" musiciens, ménétriers recrutés pour la circonstance, et aussi, bien-sûr, aujourd'hui, le "DJ" pour le bal ! Ces rites de passage à l'âge adulte, rites de sociabilité et d'intégration qui rythment les temps de la vie sont tout à la fois enracinés dans l'histoire et les traditions, et très modernes, en perpétuelle évolution et ajustés aux temps d'aujourd'hui. C'est ce qui me fascine. Pour les musiciens, c'est un peu pareil, ils représentent vraiment la version moderne d'un personnage très ancien, le ménétrier dont on a besoin pour les moments forts de la vie. Et leur musique est aussi un amalgame étonnant de répertoires d'anciennes traditions militaires ou l'on retrouve, par exemple, les standards de farandoles ou de joutes présents du Languedoc à la haute vallée du Rhône, et donc le Val de Saône, mais aussi des compositions relativement récentes de tel ou tel ménétrier qui appartenait aussi aux harmonies et fanfares villageoises locales. Ce qui est intéressant aussi, c'est que dans ce milieu qui était encore très vivant il y a une vingtaine d'années, en rencontrant plusieurs musiciens, qui ont chacun leur particularité, leur témoignage et leur histoire, mais qui sont plus ou moins dans le même réseau d'interconnaissance des ménétriers de ce coin de Bresse, on se rend compte très directement des phénomènes d'évolution, d'assimilation et d'adaptation qui construisent une "tradition". En plus, cette idée de la tradition étant plus souple que celle de "folklore", qui est peu présente dans ce cas, chaque musicien en a une interprétation personnelle et imprime son style, ce qui lui donne un caractère créatif et ouvert, bien en phase avec les pratiques actuelles. Ce sont juste les références qui varient... Pouvez-vous nous parler des personnalités rencontrées ?

Ces musiciens routiniers croisés au fil des bandes étaient-ils marginalisés au sein de leur communautés villageoise ou se sont-ils taillés une place particulière? En fait, il ne faut pas trop s'attarder sur le cliché du musicien routinier, témoin esseulé et anachronique. Certes, beaucoup sont porteurs de quelquechose d'anachronique, de survivances, puisqu'on s'y intéresse comme tels. Mais qui ne devient pas quelque part, à 70 ou 80 ans, un témoin de son temps ? On rencontre toutes les histoires possibles. Henri Lambert est resté toute sa vie, célibataire, dans la maison familiale, au hameau des Carrats dans la Petite Montagne. Ses activités principales, à part d'être vaguement paysan, étaient semble-t-il, le violon, le braconnage, et les discussions politiques au bistrot de Loisia... C'était un "vrai routinier", qui ne connaissait que le répertoire des "bals de granges" locaux, et les chansons de ses parents et grands parents... Certes, il était considéré à la fin de sa vie comme un vieux sauvage pas très fréquentable! Pour son frère Paul, plus jeune, ce fut assez différent. Ayant commencé d'une manière autodidacte avec les routiniers du coin, il devint ouvrier, se balada pas mal et appris la clarinette et la lecture musicale dans des sociétés. Son morceau de bravoure était l'Avé Maria de Schubert !!! Il fut toujours un peu nomade, fit toute sorte de petits métiers (coiffeur, rémouleur, "chapouteur" de chevilles pour la charpente, etc.), dont celui de musicien de noces. C'était au contraire de son frère, un boute-en-train très demandé, et sachant profiter des situations : mécréant notoire et bouffeur de curés, il devint finalement la mascotte des bonnes s¦urs de la maison de retraite (peut-être grâce à l'avé Maria!), ou moyennant quelques services, il avait ses aises ! Lequel des deux est le plus "vrai" ? Ce sont tous deux des musiciens avec lesquels on a beaucoup appris, tant en répertoire que dans le style. Très souvent, les personnes qu'on a rencontré étaient des gens ordinaires, des agriculteurs de leur temps, ou des ouvriers ou artisans... Mais dans leur histoire revient toujours l'idée du privilège d'être musicien, ou chanteur. C'est une fierté, et un statut reconnu comme tel, dans un contexte cependant parfois disparu ou presque. Pour le musicien de conscrits, il y a le côté sérieux, le professionnalisme : le ménétrier expérimenté est auprès des jeunes l'expert, le meneur du rituel. Il y a tout un savoir-faire, il faut assurer ! Gaston Laclayat, par exemple, clarinettiste et ancien facteur, est encore "en activité" pour les conscrits, quatre ou cinq mois par an ! Il fait aussi partie de trois ou quatre groupes folkloriques, à 70 ans environ il a autant de "dates" qu'un pro ! Un autre personnage qui m'a marqué est Aymé Pommatau. Quand nous l'avons connu, ce joueur de vielle retraité des "PTT" l'était également du groupe folklorique de Bourg en Bresse. Il pouvait passer pour un défenseur très orthodoxe du folklore bressan... et des leçons de vielle de Gaston Rivière qui venait tous les ans à Noël officier dans la bonne ville de Bourg. En faisant mieux connaissance, nous avons découvert un passionné des traditions locales, conscient du patrimoine oral qu'il détenait personnellement, et qu'il a voulu inventorier et consigner avec nous. Il se souvenait des anciennes chansons apprises avec sa grand-mère. Originaire de Salavre dans le Revermont, il fut jeune ménétrier de conscrits et de petits bals de grange, à la vielle et à la clarinette, avec son compère Roger Culas. Il avait connu aussi d'ancien joueurs de vielle, comme Pierre l'Aveugle de Coligny. Il faudrait citer encore les chanteuses et chanteurs, ceux qui faisaient les bals clandestins à la voix pendant la guerre, qu¹on a malheureusement pas enregistré ! Valéry Putin dansant la chanson du vincuit avec le « pétouillon », Mme Granger chantant la chanson de la mariée sur le pas de sa porte. Comment par la suite avez-vous vous réutilisé ces bandes ?

On a été quelques uns a y puiser directement un savoir faire et du répertoire (par exemple dans les années 80 avec le groupe "Meli Tralala"), et il y a eu des publications : Un film vidéo sur les musiciens du Revermont et de la Petite Montagne (Beaux Arts de Mâcon et Université Rurale Bressane), un article de Patrice Martinot dans Modal n° 5 en 1984 sur les Frères Lambert, le disque "Musiques en Petite Montagne", produit par Les Musiciens Routiniers en 1985, et l'Atlas sonore "Conscrits en Bresse" produit par l'ADDIM de l'Ain et le CMTRA. Pourquoi est-ce important selon vous de conserver des traces de ces rencontres?

Je ne sais pas s'il est important en soi de conserver laborieusement des kilomètres d'enregistrements très fastidieux à exploiter parfois. Mais je constate que notre démarche s'inscrit dans une histoire, celle de la patrimonialisation (née avec le romantisme), et qu'il semble important pour nos sociétés actuelles, d'engranger des témoignages et des traces, mais aussi des références possibles où chacun pourra puiser son inspiration personnelle et imaginer avec justesse ce qui a été. Dans un monde où l'intensité des informations est foisonnante, il y a une menace de banalisation et d'uniformisation des "messages". Il faut sauvegarder une diversité de "voix" qui ne sont pas forcément dans les standards du moment, mais qui pourront un jour révéler d'autres émotions, d'autres esthétiques, ou tout simplement pour permettre de comprendre une époque. En plus, ces bandes que je détiens ont un certain caractère collectif pour toute sorte de raisons, même si elles sont aussi la marque d'une histoire et de références assez personnelles. Comment un public (de passionnés, de musiciens) peut-il se réapproprier ce travail?

Il y a déjà les publications existantes dont j'ai parlé plus haut,qui mériteraient sans doute d'être rééditées sur les supports d'aujourd'hui, et revisitées. On pourrait envisager aussi des publications plus exhaustives, par exemple sur le répertoire des Lambert ou sur les musiques de conscrits. A partir de là on aurait une "matière" à disposition des créateurs, car c'est bien de celà qu'il s'agit. A mon sens, la démarche patrimoniale est peut-être un "devoir", mais elle ne prend sa dimension que dans une valorisation, qu¹il s¹agisse d¹une mise en valeur ou d¹une utilisation créative. Propos recueillis par P.B. [En savoir plus en ethnomusicologie, lettre 55->article 131]


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