Boutique Mon compte
page facebook du CMTRA page twitter du CMTRA page youtube du CMTRA
accueil > nos actions > lettres d'information > lettre d'information n°59. a... > lettres d'information > le monde alpin et rhodanien: revue d'ethnolog... Adhérer
menu
page facebook du CMTRA page twitter du CMTRA page youtube du CMTRA

Le monde alpin et rhodanien: revue d'ethnologie

Entretien avec Patrick Mazellier, collecteur, ethnomusicologue, musicien du groupe « Rural Café » CMTRA : Le dernier numéro du Monde alpin et rhodanien vient de paraître et présente neuf articles de fonds sur l'ethnologie du Sud-Est de la France, pouvez-vous nous faire un survol de l'ensemble de la publication ?

P.M. : Cette revue régionale d'ethnologie publie quatre numéros par an. Il arrive que certains numéros soient des numéros thématiques mais celui-ci est ce qu'on appelle un numéro de mélange, cependant beaucoup de ces articles ont un rapport avec la musique et la chanson. Jean-Noël Pelen ouvre ce numéro avec un article qui fait une analyse de la mémoire à partir du récit Cévenol. Il commence l'article avec une définition de Levi- Strauss qui m'intéresse beaucoup qui dit que « chaque mythe est défini par l'ensemble de toutes ses versions », il ne se définit pas par une version qui serait originale, première ... à mon avis c'est aussi vrai pour la chanson. Il y a aussi un très bel article d'Alice Joisten sur le Juif Errant, la fameuse complainte qui est aussi un mythe. Elle fait une approche historique, à partir des premiers récits fondateurs en 1600, et analyse la manière dont elle se répand dans toute l'Europe, devenant à la fois conte et chanson. La complainte a la particularité d'avoir une source écrite avant d'être portée par l'oralité. C'est un travail qu'on fait peu, de faire le point sur un thème et de suivre ses voyages et ses transformations, de complainte en récit, jusqu'aux collectes contemporaines. Ça nous renseigne sur les systèmes de transmission. Ensuite il y a aussi un article sur les fêtes et la provencalité, une analyse sur l'organisation symbolique d'un village de Provence, et d'autres encore ... Votre article s'intitule « Des folkloristes aux collectes contemporaines de chansons populaires », quel a été le chemin parcouru entre ces précurseurs de l'ethnomusicologie et les travaux plus actuels comme les vôtres ?

Au départ, l'idée était de faire une comparaison entre les collectes des folkloristes commencées à la fin du 19ème concernant le Dauphiné et le Vivarais (Ardèche) et les collectes contemporaines (de 1939 date de la collecte Devignes, à nos jours). Outre la complémentarité évidente de ces travaux, il y avait des discordances que je trouvais bizarres. J'ai fait un travail de compilation des répertoires puis j'ai comparé les méthodes de collectes, les résultats d'un point de vue quantitatif, l'influence du revivalisme, les interférences entre collectes anciennes et contemporaines. En prenant l'exemple de la musique à danser, je me suis arrêté plus longuement sur le rigodon*, en comparant ceux recueillis par Pittion, Tiersot, Gauthier Villard, Vaschalde, d'Indy, du point de vue des paroles, des échelle mélodiques, des structures musicales et je les aie comparé avec ce que nous avions trouvé. J'ai aussi tenté d'esquisser des rapprochements sur le plan de l'histoire, de la fonctionnalité entre rigodons et bourrées, en particulier en Ardèche où les deux danses coexistaient. Entre les collectes de folkloristes du début du siècle et vos collectes, cinquante, soixante ans après, quelles sont les pertes ou même les apports au niveau des répertoires, des subtilités mélodiques, des modes?

Il y a, sans nul doute, une continuité des répertoires, avec encore une belle diversité dans les collectes contemporaines des années 1980 où se retrouvent chants de soldats et de bergères, chants satiriques, chant à danser. Ce qui a disparu ce sont les grandes complaintes (Damon et Henriette, la complainte des Perrier), les longues ballades épiques (La Pernette, La femme aux sarrasins ..). Ces chansons fleuves qui tenaient l'auditoire en haleine à la veillée, s'apparentent plus aux récits et aux mythes et devaient nécessiter d'excellents interprètes, capables de faire vivre des textes longs et difficiles. Elles se sont peu transmises. Mais la différence fondamentale avec le travail des folkloristes, c'est l'existence de l'enregistrement, qui nous révèle quelques grands chanteuses, chanteurs et musiciens que la partition ou les commentaires du collecteur ne peuvent que suggérer. L'avantage de l'enregistrement, c'est qu'il nous restitue le style (mélismes, port de voix, vibrato), le timbre, la conduite du phrasé, bien mieux que le meilleur des relevés musicaux. Par exemple, sur des formes comme l'aubade et le renveillé*, les enregistrements témoignent d'un style très abouti, d'une souplesse rythmique du phrasé, d'une liberté avec les mélismes qui n'a pas encore d'équivalent chez les interprètes du revival ! Une question que je soulève dans l'article concerne le fait que certains folkloristes ou leurs héritiers auraient pu utiliser l'enregistrement (cylindres, disques, bandes), comme en Hongrie, Roumanie, Turquie à la même époque. Aucun ne l'a fait car je pense qu'ils étaient prisonniers d'un modèle visant à chercher plutôt la poésie populaire que la musique, et d'hypothétiques racines celtes ou grecques. Hormis certains d'entre eux (d'Indy, Pittion), ils mettaient au second plan l'aspect musical. Bien peu d'entre eux comme Patrice Coirault, ont perçu l'originalité du fonctionnement de la culture populaire de tradition orale, alors qu'elle était considérée comme une sous-culture singeant les classes dominantes... Vous avez la particularité de faire toujours du collectage et contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, vous continuez à trouver des choses ..

P.M. : Aujourd'hui, je ne suis pas en charge de collectes officielles, et on peut regretter le désintérêt des pouvoirs publics envers les cultures de la ruralité, alors qu'elles peuvent être un réel atout dans le développement de certaines régions. Mais bien évidemment je continue à collecter dans le Champsaur (Alpes de Hautes-Provence), le Vercors, la Savoie, l'Ardèche, pour compléter mes informations et pour recueillir des enregistrements anciens. Il est bien évident que ces collectes sont sans aucune mesure avec ce que j'ai pu faire autrefois, moins systématiques, moins riches, mais il m'arrive, à l'occasion de concerts ou de veillées de rencontrer des informateurs intéressants, danseurs, chanteurs, plus rarement instrumentistes. L'Ardèche par exemple, reste encore un territoire un peu à part, peu touché par le revival folklorique, avec par endroit le maintient de structures relationnelles très archaïques (groupes de jeunesse, veillées, reboules) qui ont permis la transmission de répertoires et une relative conservation de l'usage de la langue d'oc. Dans tous les cas, même aujourd'hui, il m'arrive de récolter du répertoire traditionnel inédit ou de faire de belles découvertes sur les derniers aléas de la folklorisation avec par exemple les chansons du maquis, Vercors, Beaumont ... Dans cet article, vous constatez une certaine unité des pratiques musicales et vous luttez contre une localisation trop restreinte des traditions musicales, n'existe t'il pas tout de même des vraies spécificités liées à des territoires et des langues ?

P.M : La possibilité de réaliser un début de synthèse sur ces collectes qui s'étalent sur une période de plus de cent ans permet d'avancer quelques hypothèses : autour de quelques marqueurs identitaires forts comme la danse du rigodon qui était chantée « au tra la la »* et jouée au violon, la pratique du chant de fréquentation (aubades, renveillés), et également l'existence d'une certaine communauté linguistique autour de l'occitan ; une zone géographique plus vaste se dessine. Elle va des vallées occitanes d'Italie jusqu'au Cévennes. Ce n'est pas un hasard si l'on collecte le même répertoire de rigodon du Champsaur au Sud des Cévennes ardéchoises ! Tout ceci correspond à des flux économiques et culturels qui ont dû être extrêmement dynamiques durant tout le XIXème siècle, où une jeunesse nombreuse et turbulente peuplait ces campagnes. Sur le plan musical, vu la variété des répertoires, des formes, et des échelles, le bouillonnement musical a du être intense, les échanges nombreux, avec des répertoires plus anciens (contredanses, rondes ..) ou bien plus récent (bourrée ardéchoises découpées en huit temps : 3+3+2, rigodon du Champsaur combinant mesures à trois temps et deux temps, danse rare comme la vire du Coiron intégrant un pas de valse sur un rythme binaire ...). Un bon exemple nous est donné de ce qu'a dû être la folklorisation avec le violoneux Emile Escalle, qui revisite la Tonkinoise (un standard de java popularisé par Joséphine Baker), avec la technique en doubles cordes qu'il appliquait aux rigodons. C'est cette même force du style qui permet par exemple aux musiciens manouches de passer à la moulinette swing tsigane n'importe quelle scie de variété. Ces cultures de la ruralité ont donc du être très dynamiques et créatives vers le milieu du XIXème siècle, capables d'absorber de nombreuses influences, avant de s'estomper progressivement avec le début de la guerre de 1914, l'accélération de l'information avec l'arrivée de la TSF ... et de parvenir jusqu'à nous . Aujourd'hui quel est l'usage que l'on peut faire de tous ces matériaux, des transcriptions des premiers folkloristes comme des collectes plus récentes?

Pour avancer, il faut bien connaître les formes sinon, on risque de tomber dans ce que je regrette pour la voix, c'est à dire dans une forme de normalisation. Aujourd'hui, les gens chantent presque tous pareil. On sent tout de suite chez ces chanteurs de renveillés quelque chose de fort qui arrive, ils ont des voix qui peuvent être comparable à ce qu'on entend dans les pays de l'Est ou en Irlande. Ce sont des voix fortement timbrées qui n'ont pas peur de la couleur. En fait, il y a peu de choses qui ont été exploitées par rapport aux musiques dites « françaises », nous travaillons par exemple avec « Rural café » sur des rondes très peu connues. Dans cette tradition là, ce qui m'intéresse, c'est qu'il y a une forte énergie rythmique, donc ce sont des musiques faciles à reconstruire avec des percussions, parce qu'elles sont imprégnées d'éléments percussifs. C'est comme le chant à danser, le « chant au tralala » occitan où le rythme se trouve dans la langue, c'est à dire que ce sont les accentuations qui donnent le rythme de la danse. Ce qui est aussi intéressant aujourd'hui, c'est de valoriser leur culture aux yeux des gens du pays. Ils prennent aussi conscience de la globalité de ce phénomène, parce que justement, on sort de l'ornière d'une petite culture de village étriquée. Non, on peut communiquer avec ça, on peut s'exprimer, on peut reprendre la parole. C'est important car les chanteurs et le répertoire le méritent. Les travaux d'ethnomusicologie aident à fortifier tout cela. Les musiques de l'Est se sont reconstruites à partir des analyses de Bela Bartok, de Kodaly qui les ont analysées, classées, enregistrées, cela a permis de réinsuffler du dynamisme à tout cela. Plus on les connecte, plus on s'aperçoit que ces musiques communiquent entre elles. Ce n'est pas parce que le contexte qui sous-entendait ces pratiques a disparu qu'il faut arrêter de s'intéresser à elles, à travers les témoignages individuels de chanteurs et chanteuses héritiers de ces mémoires. Ce serait les condamner une deuxième fois. Pouvez-vous nous parler de la démarche de la revue qui existe aujourd'hui depuis une trentaine d'années ?

Cette revue a été créée au début des années 1970, à l'initiative de Charles Joisten, conservateur du musée du Dauphinois, grand collecteur de la ruralité des Alpes, spécialiste du conte et dont les éditions commentées des Contes du Dauphiné sont une merveille d'intelligence et de respect des informateurs. Je lui serais éternellement reconnaissant d'avoir conforté ma vocation de collecteur débutant avec beaucoup de patience, de générosité et de gentillesse. Les publications de cette revue éditées par le Monde Alpin et Rhodanien, Musée Dauphinois de Grenoble, sont d'une grande qualité et d'une rigueur intellectuelle exemplaire ... Il y a eu entre autres, un numéro spécial sur le rigodon écrit par J.M. Guilcher, un numéro passionnant sur les migrants des Alpes, un sur le loup, les êtres fantastiques ... Il existe également une collection des cahiers d'ethnologie régionale pleine d'intérêt avec de nombreuses publications de Georges Delarue. Propos recueillis par P.B. Retrouvez Patrick Mazellier dans les lettres [n°33->article858] et [n°42->article474] Le Monde alpin et Rhodanien : 22 €

Ref : M.A.R. 3-4/2004. Voir 17p ; pages VPC

Pour consulter l'ensemble du catalogue de la revue: [http://www.patrimoine-en-isere.fr->http://www.patrimoine-en-isere.fr] Patrick Mazellier donne des cours de violon traditionnel au CMTRA

CD : Rural café « Les couleurs du cercle » (voir catalogue du CMTRA)

Contact : l'Echo des Garrigues : 04 75 45 03 65

Les renveillez d'Orcières, une tradition de chant dans les Hautes-Alpes

Livre-CD disponible dans le catalogue du CMTRA- 22,90 E -* rigodon : danse et forme musicale du Sud de la France au rythme très marqué. -* 1875-1953 -* renveillés : chant collectif, chanté à l'unisson, interprété en plein air, tard dans la soirée, lors du retour de la veillée, sous les fenêtres des filles. -* chant au tralala (ou chant de gueule) : chant sans parole ou l'on répète en monosyllabe un motif mélodique en l'enrichissant d'effets de voix, de claquements de langues et de rythmes.


logo CMTRA

46 cours du docteur Jean Damidot
69100 Villeurbanne

communication@cmtra.org
Tél : 04 78 70 81 75

mentions légales

46 cours du docteur Jean Damidot, 69100 Villeurbanne

communication@cmtra.org
Tél : 04 78 70 81 75